SUPPRIMER TOUS LES IMPÔTS…

Une solution révolutionnaire qui simplifierait bien des problèmes.

Comme je dînais l’autre soir chez Yushi, ma cantine japonaise, avec le directeur d’une grande banque suisse, il s’étonna de la grande confusion qui règne chez nos amis français concernant les impôts et la justice fiscale. Il me confia qu’ils avaient un train de retard et que plus personne ne comprend quoi que ce soit à la politique fiscale d’un gouvernement prétendument le plus brillant dans ce domaine complexe qui agite les passions sans pour autant proposer de solutions simples et en concordance avec l’esprit du temps qui exige de la transparence et une lutte sans pitié contre toutes formes de fraude.

Curieux et sceptique, je lui demandai quelle serait cette solution miracle.  » Miracle, je n’en jurerai pas  » me répondit-il en commandant un second flacon de saké.  » Mais ingénieuse !  » Et, en riant, il ajouta qu’il suffirait de supprimer tous les impôts ! J’ai cru un instant que le saké lui tournait la tête ou qu’il se payait la mienne. Face à ma perplexité, il se crut tenu de m’expliquer plus précisément comment l’État se trouverait alors en mesure de financer toutes ses dépenses. Je ne suis pas certain d’avoir tout compris, ni tout retenu – le saké n’est guère propice à cette haute voltige intellectuelle. Mais voici, pour les nuls, quelques points qui me sont apparus ingénieux.

Le premier consisterait à abolir la TVA dont nul n’ignore qu’elle défavorise les plus pauvres, ainsi que les impôts sur les revenus qui seraient remplacés par une taxation de tous les flux financiers. Cette micro-taxe, de l’ordre de 0,1 % ou 0,2%, s’appliquerait à toutes les tractations financières électroniques. Ce ne sont plus les entreprise ou les individus qui seraient taxés, mais les flux financiers. D’après les calculs de l’École Polytechnique de Zurich, ce système rapporterait plus que tous les impôts actuels et moderniserait le système fiscal actuel qui en a le plus grand besoin. D’autant qu’à l’heure de la numérisation, cela n’a plus grand sens de taxer le travail à ce point alors que de nombreux emplois disparaissent et que nous allons au-devant d’un chômage de masse.

L’autre avantage de cette microtaxe serait, toujours selon mon ami banquier, de financer la transition écologique et, surtout, un salaire minimum garanti pour tous. Cela me semblait presque trop beau pour être vrai. Et pourtant, je dus me rendre à l’évidence quand il m’apprit qu’une initiative populaire aurait bientôt lieu en Suisse, sans doute ce printemps, pour que le peuple puisse se prononcer sur cette révolution fiscale. En revanche, on peut douter qu’en France on demande jamais leur avis aux citoyens et que le bricolage du système fiscal actuel ne se prolonge jusqu’à son écroulement. Taxer les flux financiers – de votre café matinal à toutes les ventes d’actions ou d’obligations – me semble une idée lumineuse, facile à appliquer à l’heure du numérique et compréhensible par tous.

Mais l’abus de saké m’a sans doute tourné la tête. Ne m’en tenez pas rigueur !

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Archives … Réflexion sur le mot « peuple »

Lausanne, Le Peuple, décennie 1960

 

Ici, à Vienne, il y a un « Jardin du Peuple »,  un « Théâtre du Peuple » et de multiples « Maisons du Peuple ». Cela n’étonne personne. Au contraire. On achètera volontiers une Volkswagen, la voiture du peuple ; et l’on se servira dans un Volksladen, magasin du peuple.

En Suisse, pour beaucoup de bourgeois, tout ce qui touche au peuple est malvenu. Peuple, cela veut dire « grossier », « vulgaire », « sans éducation »,  « sans culture », souvent tout cela à la fois. « Peuple » et « plèbe » sont interchangeables, dans leur acception courante de populace. Et c’est un grave préjudice, par exemple, pour un journal que de s’intituler Le Peuple. Je connais de nombreux esprits dit avancés qui ne s’aventureraient jamais dans une Maison du Peuple.

Que nous le voulions ou non, nous sommes sous la coupe de ce jugement collectif, et le « peuple » ne trouve grâce à nos yeux qu’accompagné d’un qualificatif. Le « peuple suisse », très bien pour les discours patriotiques du 1er août. Le « peuple français », passe encore.

D’où vient ce solide préjugé ? De la littérature, d’abord. De la politique, ensuite. Pour des esprits latins et/ou bourgeois, s’appuyer sur le peuple, articuler son discours autour du peuple, voire, horreur, le prononcer à son attention, c’est être démagogue. Hitler d’un côté, les communistes de l’autre, ont prouvé combien cela était détestable. Auraient-ils pu chanter la gloire d’un peuple (ou d’une nation) sain et fort sans paraître ridicules ? Dangereux ?

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Pas en Suisse, patrie de l’individualisme bienheureux. Peut-être en France.

La Suisse va-t-elle voter la déchéance d’hospitalité ?

Les Helvètes ne sont pas un peuple particulièrement hospitalier. Selon un classement international, ils se situeraient même en en trente-huitième position, juste après l’Arabie saoudite, le Koweït et le Japon, pour l’accueil fait aux expatriés. La Suisse reste néanmoins un eldorado pour y faire du business, mais comme le dit l’un d’eux,  Prière de prendre la fuite pour qui veut s’y faire des amis ! »

Pire encore, les Suisses qui croient volontiers qu’il n’y en a point comme eux, n’apprécient pas la mendicité (une initiative populaire vise prochainement à l’interdire) et encore moins les comportements douteux. Quant aux délits ou aux crimes commis par des étrangers, ils devraient à l’avenir conduire leurs auteurs, après une peine de prison, illico presto,  dans leurs pays d’origine respectif.

Tel est du moins le but de la votation du 28 février qui met en ébullition la classe politique, plus de cinquante pour cent des sondés étant favorables à cette initiative populaire soutenue par l’UDC, parti libéral certes, mais farouchement opposé à l’Union européenne. La gauche annonce le pire : la fin de l’État de droit , voire l’avènement d’une nouvelle barbarie. Le populo, lui, en a marre d’être pigeonné au nom des droits humanitaires. Vivre à Singapour ou au Japon, deux pays qui ne font pas dans la dentelle en matière de sécurité, lui semble préférable au bordel qui gagne ses  voisins, la France et l’Allemagne notamment. Après tout, il n’est pas question de rétablir la peine de mort. Juste de montrer qu’on reste maîtres chez soi…

Ce n’est pas encore dans l’air du temps en Europe. Mais, à supposer qu’il ne soit pas déjà trop tard, on imagine sans peine bien des pays européens suivre ce très, très, très mauvais exemple…

 

Billet d’humeur publié dans le numéro de février de l’infâme Causeur.

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Kostas Axelos face à Jacques Lacan

J’avais vingt ans quand j’ai connu Kostas Axelos. C’était à Lausanne. Il était venu y donner une conférence. Je n’en ai gardé aucun souvenir, sinon celui d’une voix qui martelait chaque mot comme s’il recelait un trésor. L’homme portait beau, buvait sec et avait un faible pour les baby dolls. Il approchait de la quarantaine et avait conservé l’allure d’un officier. Il venait d’Athènes où il avait été condamné à mort pendant la guerre civile. C’était alors son principal titre de gloire et il ne manquait jamais de le rappeler.

Après sa conférence, je l’avais entraîné dans quelques mauvais lieux lausannois avec le poète Dimitri T. Analis et nous avions sympathisé. J’étais un freudien novice et lui un philosophe belliqueux. Il voulait en découdre avec Sartre et rêvait d’une confrontation publique au terme de laquelle il l’aurait mis K.O.

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Sartre n’a pas eu l’élégance de lui donner cette chance et Kostas s’est trouvé d’autres adversaires. Lacan, notamment. Il racontait volontiers la confidence que lui avait faite Heidegger après qu’il l’eut conduit à Cerisy-la-Salle en voiture avec Lacan :  » Le docteur n’aurait-il pas besoin d’un docteur ?  »

Après m’être installé à Paris au 19, rue Monsieur dans le même immeuble que Kostas, j’eus l’occasion de le voir tous les jours. Comme je collaborais au Monde des Livres et que j’avais été chargé d’une double page sur Lacan, je lui demandai d’intervenir. Il ne ménagea pas ses critiques. Le docteur Held qui comptait parmi nos amis et qui avait bien connu Lacan lors de ses études de médecine lui emboita le pas. Et Georges Mounin, le linguiste, également. Il ne restait plus que Bertrand Poirot-Delpech pour arracher quelques sentences énigmatiques à Lacan, jeu auquel il se prêta bien volontiers. Bref, pour la première fois dans l’histoire du Monde une double page qui couronnait en principe une œuvre se métamorphosa en un règlement de comptes. Kostas jubilait. Et lors d’un dîner avec son vieil ami Pierre Fougeyrollas tous deux tombèrent d’accord pour dire que Lacan ne pouvait faire mieux que remâcher Nietzsche, Heidegger et ce qu’il reste de pensée dans le catholicisme intégriste. Ils prévoyaient que dans dans peu de temps l’histoire aura fait justice du lacanisme qui n’intéressera plus personne. Le contraire s’est produit, mais ni l’un ni l’autre ne sont plus là pour en mesurer les effets.

Peut-être, si j’y réfléchis, l’état d’esprit de Kostas Axelos l’amenait-il à penser que plus rien n’intéresserait plus personne. Aucun nouveau départ n’était prévisible. Il suffisait de le reconnaitre. Il n’était même pas réactionnaire, simplement dépressif. Il avait été communiste. Il ne l’était plus. Il avait fondé avec quelques amis la revue Arguments . Elle était demeurée confidentielle. Il disposait d’une collection aux éditions de Minuit – il publia Herbert Marcuse, Karl Korsch, Ludwig Bölke…- , mais le cœur n’y était plus. Lui-même se fit de plus en plus rare. Il était revenu de tout, sauf d’Héraclite. Obscurcir l’obscurité : telle était dorénavant sa tâche.

Nicole, sa compagne, si enjouée, si charmeuse, si tendre, l’avait quitté. Notre ami commun, Jean-Michel Palmier, était décédé. Les années avaient passé. Je croisais de temps à autre Kostas boulevard Saint-Germain : il avait toujours fière allure, mais nous n’avions plus rien â nous dire. Il avait vécu avec une jeune Chinoise. Il donnait maintenant l’impression d’une solitude hautaine. Le temps des bars à café lausannois, des vacances à Hydra, des nuits passées à parler de Husserl ou de Heidegger était passé. Il avait postfacé un de mes premiers livres : cela m’avait ému. J’étais si jeune alors. Il m’avait fait partager sa vie, rue Monsieur. Ce qu’il m’a enseigné, ce n’est pas la philosophie, c’est la générosité. Elles vont rarement de pair.

Une soirée à Genève…

Par Jean-François Duval, que nous remercions chaleureusement.

 

J’étais hier soir à l’une des ventes aux enchères (elles durent toute cette fin de semaine) de la maison créée par mon neveu (avec 2 associés). En y assistant, j’ai l’impression amusante d’entrer de plain dans un bouquin de Balzac. Ce midi, un Bouddha, estimé 1200.- francs suisses est
parti à 550’000.- francs. Personne ne s’y attendait (ou tout le monde avait oublié que certains Chinois s’offrent davantage que des Rolex). Si d’ailleurs je t’en parle, c’est que je suis encore sous le coup ! Il y aurait sans doute  bien des distinctions à faire entre le jeu et l’achat d’objets
aux enchères, mais j’ai par instants des poussées d’adrénaline (à l’occasion de la montée fiévreuse des enchères pour ce divin Bouddha par exemple) qui me font beaucoup mieux comprendre la passion dévorante
du Joueur, et l’espèce de «shoot » qu’on peut en attendre.

Vues aériennes / Aerial view

En plus, Genève Enchères est situé en plein milieu des Pâquis. Je n’avais depuis longtemps pas passé par là de nuit. Or, Genève by night a beaucoup changé: les filles en vitrine sont bien plus belles qu’à Amsterdam.
On les dirait figées dans ces mêmes postures de mannequins que tu filmes parfois à Lausanne. L’une, formant avec deux autres un trio, m’a adressé un petit signe de la main, et j’ai fait pareil. On avait probablement tous les deux besoins d’être encouragés.

Te suis quasi journellement sur Youtube. En un sens, tu m’épargnes d’avoir à vivre une vie quotidienne réclamant des efforts dont je me sens bien incapable moi-même (que tu en sois loué!). D’où l’utilité
aussi de ces quelques «shoots» bouddhiques.

Amitiés fidèles  !

Jean-François

Entretien imaginaire avec Carl Gustav Jung, 1/7

Originellement publié dans Le Monde, le 22 février 1985.

 

Tous ceux qui ont rencontré le psychologue suisse Carl Gustav Jung (1875-1961) m’ont parlé de lui comme d’un homme solidement ancré dans la réalité, aimant travailler la terre, la pierre et le bois, faisant jusqu’à un âge avancé de la voile sur le lac de Zurich et manifestant en société un sens aigu de l’humour. Son rire surtout était célèbre : tantôt discret et réservé, tantôt homérique.

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Oui, de Jung tous convenaient qu’il était une force de la nature, capable de danser tard dans la nuit, dormant volontiers à la belle étoile chez ses amis les Indiens Pueblos ou parcourant la brousse en Afrique australe pour mieux connaître des sociétés moins policées que la Suisse. Comme me l’a confirmé un de ses proches disciples, Charles Baudouin, Jung n’avait rien d’un érudit livresque ni d’un homme de cabinet : aussi était-on parfois surpris en l’entendant parler, sur un ton d’absolue conviction, de l’anima, du soi, de l’ombre, des archétypes et d’autres réalités intangibles.

Paradoxalement, ce psychiatre qui se voulait avant tout un empiriste, fidèle à l’expérience, suscita des réactions d’une rare violence. Si le philosophe juif Martin Buber le rangea parmi les gnostiques paléochrétiens, les psychanalystes freudiens lui reprochèrent ses spéculations ayant trait à l’âme ancestrale de l’homme, ainsi que son « orientalisme de bazar », et rejetèrent une pensée qu’ils jugeaient d’une inspiration plus religieuse que scientifique. Ce qui s’explique quand on sait que pour Jung la névrose était le symptôme caractéristique de l’homme qui a perdu le soutien de la religion. À l’un de ses amis, il confia un jour :

« Tous les névrosés sont en quête d’une religion. »

Au-dessus de la porte de sa maison de Küsnacht, près de Zurich, il avait fait graver cette devise: « Invoqué ou non, Dieu sera présent » 

Les détecteurs de pédophiles…

Il existait des détecteurs de mensonges dont l’efficacité était pour le moins douteuse. Le psychologue suisse, Carl Gustave Jung,  était à l’origine de cette découverte qui nous enchantait dans les films américains des années cinquante, surtout quand il s’avérait que le coupable n’était pas celui que la police scientifique avait désigné.

Il existera bientôt des détecteurs de pédophilie – la hantise de l’époque – qui nous permettront de distinguer qui est dangereux, peu ou prou, et qui est susceptible de récidiver en enregistrant les réactions cérébrales et physiologiques à des images lascives de petits garçons et de petites filles dénudées. Un bon moment pour ceux qui feront passer le test, un sale quart d’heure pour les amateurs de Lolitas, un malaise cardiaque assuré pour les émotifs.

Ces appareils, mis au point au point avec l’argent de la Confédération helvétique par les universités de Bâle et de Zürich, évalueront même l’efficacité des thérapies mises œuvre pour remettre le délinquant sexuel dans le droit chemin. On devrait d’ailleurs développer ce type de technologies pour nous assurer que tel lecteur du Coran n’est pas un futur terroriste ou que telle jeune jeune fille fashionvictime ne succombera pas aux délices de l’anorexie.

Bref, pour l’instant, les enfants eux au moins sont protégés et les « vilains messieurs » – on se demande d’ailleurs pourquoi les femmes sont exclues de ce cercle – devront se tenir à carreau ou redoubler de vigilance. Il va de soi que nous ne pouvons que nous en réjouir, même si nous savons que le diable dispose souvent d’une redoutable avance sur toutes les technologies … et que ces dernières font sans doute partie de ses desseins.