Le romantisme de la putain

À l’opposé du timide et puritain Henri-Frédéric Amiel, nous trouvons Cioran qui, adolescent déjà assimilait la femme au Rien – et même au moins que rien. Il est vrai que sa lecture de Weininger (Sexe et Caractère) n’avait pas contribué à tempérer sa misogynie. Si la jeune fille n’est qu’une fiction, un zéro incarné, pourquoi ne pas dériver plutôt vers ce romantisme de la prostitution tellement en vogue dans la Mitteleuropa ?

 

 

Il racontait volontiers que sa vie d’étudiant en Roumanie s’était déroulée sous le charme de la Putain. Otto Weininger, ajoutait-il, en me fournissant les raisons philosophiques d’exécrer les femmes m’avait guéri de l’amour. À Paris, il lui arrivait parfois de regretter le fou qu’il avait été dans sa jeunesse. Je doute qu’il ait fait part à Simone Boué, la femme de sa vie, de ses regrets. 635806075528344828-louise-brooks-2

 
Amiel se lamentant de la misère de sa vie sexuelle, Cioran éprouvant la nostalgie des maisons closes de Sibiu, il m’arrive de me demander ce qui me fascine, moi qui n’ai connu dans les années soixante ni les bordels, ni les frustrations d’Amiel dans le récit de leurs déboires ou de leurs exaltations. Sans doute est-ce, outre leur génie littéraire, cette magie de l’extrême qui seule peut métamorphoser un individu quelconque en un écrivain qui soit plus qu’un littérateur ou, pire encore, un intellectuel. Mon seul regret est d’être demeuré trop raisonnable, trop bien élevé comme disait Cioran quand il me taquinait, pour n’avoir pas connu les cimes du désespoir ou les gouffres de la mélancolie.

 

 

Je tâcherai de faire mieux une prochaine fois.