DE L’ASSASSINAT CONSIDÉRÉ COMME UN DES BEAUX-ARTS …

Dans La Corde, Alfred Hitchcock s’inspirait de l’histoire authentique de deux étudiants américains qui, subjugués par l’amoralisme tranquille de leur professeur de philosophie et exaltés par la lecture de Nietzsche, étranglaient un de leurs condisciples, cherchant par la gratuité de leur acte et par la perfection de leur mise en scène à prouver qu’ils étaient dignes d’accéder à la qualité de Surhomme.

C’était là le type même du crime cérébral, esthétisant, qui devait beaucoup à l’essai de Thomas De Quincey, De l’assassinat considéré considéré comme un des beaux-arts et à une culture philosophique encore fragile, car dès lors qu’elle s’approfondit, elle permet de mesurer le degré d’imposture de toute pensée et le mauvais goût qu’il y aurait à prendre trop au sérieux, ou pis encore, à vouloir transposer dans la réalité les paradoxes couchés sur le papier.

 

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Le seul principe que je me suis efforcé de suivre est le principe d’indifférence. Et si j’avais dû me choisir un Maître, c’aurait été l’illustre philosophe chinois Ye Men Fu.

 

Ces immondes salopes : une célébration de la fête des mères…

Il m’arrivait parfois d’entrer subrepticement dans la chambre où ma mère dormait encore et de la réveiller par un tonitruant : « Ich bin der Tod ! »

Elle ne m’en tenait pas rigueur, persuadée qu’elle était d’avoir commis un crime impardonnable en me mettant au monde. Elle considérait les mères comme d’immondes salopes,  inconscientes du mal dont elles étaient responsables en perpétuant la vie. Par ailleurs, elle exécrait les enfants. Le  sien, elle le confiait à mon père, ce qui me soulageait plutôt. Car, avec ses airs de star viennoise sur le déclin, elle m’angoissait plus qu’elle ne me rassurait. Ce que je lisais dans son regard, c’était la peur : le nazisme l’avait vaccinée à jamais contre le bonheur. Et elle partageait avec Thomas Bernhard et la plupart des écrivains autrichiens une forme de cynisme qu’avec l’adolescence j’ai trouvé plus que réjouissant. Elle  ne reculait devant rien, se demandant seulement comment elle avait pu être assez sotte pour procréer. C’est le principal héritage que je lui dois.

 

Une anecdote pour conclure : comme nos mères déclinaient et nous pompaient l’air, nous avions décidé, Michel Contat et moi, de suivre le scénario de L’Inconnu du Nord Express d’Alfred Hitchcock et d’échanger leurs meurtres. Le projet n’a jamais abouti. Mais s’il y a une chose dont je suis certain au moins, c’est qu’il aurait ravi ma mère. On ne tue jamais que ceux que l’on aime.

 

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