Annie Ernaux, l’été de mes dix-huit ans…

Il semblerait, dit le Figaro, que la célébration de Madame Annie Ernaux soit devenue obligatoire en France. Frédéric Beigbeder ne mâche pas ses mots : « Statufiée, Annie Ernaux prend son lecteur pour un abruti »

Il n’est pas nécessairement déplaisant d’être pris pour un abruti : aussi me suis-je aussitôt procuré Mémoire de fille (Gallimard) tout en nourrissant pas mal de préventions vis-à-vis de cette femme de lettres qui a lancé la meute des écrivains bien-pensants contre Richard Millet avec le succès qu’on sait. Mais nous avions compris que c’est une âme simple qui se nourrit de bons sentiments et qu’il lui serait beaucoup pardonné pour avoir chassé du temple des lettres une créature aussi ignoble que l’auteur d’un éloge littéraire à Anders Breivik.

Annie Ernaux a donné rendez-vous dans son dernier livre à la jeune fille qu’elle était en 1958, une jeune fille d’un milieu modeste qui a toujours été tenue à l’écart des garçons comme du diable par sa mère. Au point que cette dernière a brûlé à la fin des années soixante son journal intime, ainsi que son agenda, certaine d’oeuvrer au salut social et spirituel de sa fille en détruisant les traces de sa mauvaise vie, maintenant qu’elle était devenue prof de lettres, mariée et mère de deux enfants. La vérité a survécu au feu et c’est elle qu’on redécouvre progressivement dans cette auto-biographie qui ne vaut certes pas La Boum avec Sophie Marceau , mais qui a parfois le charme des tubes de Paul Anka.

 

 

Annie-Ernaux
Une fille de dix-huit ans, c’est fragile…surtout si elle lit Les Fleurs du Mal plutôt que Nous Deux.  Elle n’a pas encore touché le sexe d’un garçon et se cherche à travers des livres ou des films. Après avoir vu En cas de malheur avec Brigitte Bardot, elle note aussitôt dans son journal : « Stupéfaction de voir combien j’avais la même façon que Bardot de me conduire avec les hommes en 58, les gaffes que je faisais, ou le naturel que j’avais, disant à l’un quej’avais flirté avec l’autre. Sans aucune règle. C’est l’image de moi la plus refoulée. »

Elle est un peu cruche, votre Annie Ernaux, me direz-vous. Et tellement provinciale. Peut-être aurions-nous pu l’aimer si elle n’était pas aussi engluée dans l’exégèse de son être et incapable de se soustraire aux lieux communs qui lui auraient peut-être permis – mais rien n’est jamais sûr dans ce domaine – d’acquérir un certain style. Voire de nous faire aimer celle qu’elle tentait vainement de devenir à dix-huit ans. Elle n’y est pas pas parvenue. Ce n’est pas bien grave. Ce qui l’est plus, c’est que toute une génération de femmes se retrouve en elle. Par ailleurs, typiquement française en cela, elle ne cesse de revenir sur ses origines modestes et de ressasser un sentiment d’injustice sociale qui lui colle à la peau. Et là, elle nous prend vraiment pour des abrutis !

Quand Sollers se prend pour Hegel…

Philippe Sollers a un don particulier pour débusquer les « barbouilleurs de littérature » et quand il les décrit, notamment dans son dernier opus magnum en date, Mouvement, il donne l’étrange impression de se dédoubler. Car ces « barbouilleurs » sentent que la poésie serait pour eux le salut. Mais la chose leur fuit entre les mains – quand elle ne devient pas de la merde. Peu importe, dans l’empire du Marketing, il faut que la pensée, tout comme la poésie, soient impossibles. « C’est la loi des marchés financiers », conclut Sollers qui, une fois encore, est persuadé d’avoir échappé à cette hydre grâce à Hegel et à la poésie chinoise. Certes, il reconnaît être très délabré. Mais indemne. Indemne de quoi ? On ne le saura jamais. Et d’ailleurs, il est douteux que quelqu’un s’intéresse à ce « barbouilleur de littérature », le seul à avoir compris que tous les interprètes de Hegel, y compris ses adversaires, se sont trompés. Car il ne faut pas l’interpréter, mais l’être. Et Sollers qui veut l’être, qui pense l’être, ne nous aura rien épargné dans ce pensum indigeste, rien, à l’exception de sa vanité.philippesollers

« Si la vérité est le mouvement d’elle-même en elle-même », comme le prétendait Hegel, ne prenez pas la peine de la chercher chez les barbouilleurs de littérature. Et moins encore chez Philippe Sollers qui, sans doute sous l’emprise des marchés financiers, a réussi l’exploit d’étaler sa culture en lui retirant toute saveur. La prétention pèse parfois plus que les marchés financiers, mais ce n’est quand même pas notre Hegel bordelais qui s’arrêtera à des détails aussi mesquins, tant il est imbu de son génie. Il est bon de savoir que de si nobles et vertueux esprits veillent sur la littérature française chez Gallimard. Ne serait-ce que pour cela, ils auront droit à notre indulgence et, chez les plus perfides, à quelques égards.