Issei Sagawa, un esthète de l’horreur, épisode 3

Quand la compagne de Patrick Duval apprit qu’il avait écrit au « Japonais cannibale », elle fut prise d’un violent dégoût et le menaça de rompre. Elle le soupçonnait d’avoir, lui aussi, des pulsions perverses. Ce qui ne détourna pas Patrick Duval de poursuivre sa correspondance avec Sagawa – elle est reproduite dans son livre –, ni de se rendre au Japon pour le rencontrer. Le chapitre consacré aux divers rendez-vous reportés par Sagawa et à la terreur qu’éprouve Duval est d’une cocasserie digne des voyages de la famille Fenouillard. Finalement, il se trouve face à un Japonais qui lui fait penser par son physique à Marguerite Duras. Il note que son regard est direct et franc. Et quand il lui serre la main, une main si petite qu’elle pourrait être celle d’un enfant de sept ans, il se demande : « Comment de si petites mains ont-elles pu accomplir de telles horreurs ? » Il va chercher à comprendre. Là où il n’y a sans doute rien à comprendre. Simplement à admirer la beauté du geste.

Peut-on aimer sans dévorer ? Et l’amour n’est-il pas le plus abominable des crimes ? L’assassin est toujours celui qui veut l’amour total.

 

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Issei Sagawa, un esthète de l’horreur, épisode 2

Ce qui s’est passé ensuite, Sagawa ne s’est pas privé de le raconter et de le commenter à maintes reprises. Il voulait, confie-t-il au journaliste Patrick Duval, sentir le goût unique de la vie de Renée. Il lui raconta également que quatre jours après n’avoir mangé que la chair de Renée – il ne cache pas une certaine déception : trop de ressemblance avec le bœuf –, il eut envie d’une salade niçoise. Il se balada dans Paris. Il y avait une fête sur le pont Neuf. On entendait la Sixième symphonie de Beethoven. Il jeta la trousse de maquillage de Renée dans la Seine. « J’avais l’impression, dit-il, que l’esprit de Renée flottait sur la Seine. C’était très poétique, très beau. »

Arrêté dans des circonstances rocambolesques – il avait découpé en petits morceaux le cadavre de Renée et, muni de deux valises, s’était rendu en taxi au bois de Boulogne pour les jeter dans le lac –, il sera incarcéré à la prison de la Santé où son père, un riche industriel, lui apportera Crimes et Châtiments de Dostoïevski. Suivant l’avis de trois experts psychiatres, le juge Bruguière prononcera le 30 mars 1983 une ordonnance de non-lieu. Sagawa, pour les Français, ne relève pas de la justice mais de la psychiatrie. Au Japon, en revanche, où il retourne en toute légalité, les psychiatres ne cachent pas leur perplexité : rarement criminel aura été aussi normal. « Quant à ses compatriotes, écrit Patrick Duval, ils l’accueillent comme une sorte de champion de l’horreur, un phénomène digne du livre des records ». Auréolé de cette gloire inattendue, Sagawa commente pour la presse les faits divers les plus macabres, tourne dans des films porno, fait de la publicité pour des restaurants de viande, peint et écrit des livres aux titres évocateurs :  J’aimerais être mangé, Excusez-moi d’être en vie ou Ceux que j’ai envie de tuer. Dans l’un d’eux, comble de l’ironie morbide, il dessine des jambes de femme dont le mollet est entaillé. Avec pour légende : « Je n’ai pas assez mangé ».

 

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Il déclare à la télévision allemande : « L’esprit japonais est très différent du reste du monde. Les Japonais oublient au fur et à mesure que la société change. Les Européens, eux, n’oublient jamais. Alors qu’au Japon, je suis devenu un clown, ici, en Europe, je reste un cannibale. D’un côté, dit-il encore, je regrette d’avoir tué Renée, mais de l’autre, j’avais raison : c’était vraiment bon. »

Issei Sagawa, un esthète de l’horreur, épisode 1

La plupart des hommes mangent leur femme d’abord et la tuent ensuite. Pour avoir adopté la démarche inverse et franchi la frontière ténue entre le symbolique et le réel, Issei Sagawa a connu quelques ennuis avec la justice française et conquis une notoriété internationale. Les Rolling Stones eux-mêmes célébrèrent l’événement dans leur chanson Too Much Blood.

Issei Sagawa, rappelons-le, est ce jeune étudiant japonais, spécialiste de Shakespeare et de Kawabata, qui durant le mois de juin 1981, alors que François Mitterrand s’apprêtait à planter ses crocs dans la douce France, abattit d’un coup de fusil Renée, une Hollandaise âgée de vingt-cinq ans, la dépeça et pendant trois jours goûta aux différentes parties de son anatomie, sans négliger pour autant quelques voluptés nécrophiles.

Renée avait une passion pour les surréalistes et préparait un mémoire sur Marguerite Duras. Une manière comme une autre de se préparer à vivre un « amour fou ». Car Issei était persuadé d’atteindre en la mangeant une forme d’apothéose érotique. On ne connaîtra jamais l’opinion de Renée à ce sujet, mais on peut douter qu’elle l’ait partagée. Même les lectrices d’André Breton et de Marguerite Duras préfèrent les humiliations de la vieillesse à la splendeur d’une mort précoce.

Avant de tirer le coup de fusil fatal, Issei avait prié Renée de lui lire à haute voix un des plus beaux poèmes de l’expressionnisme allemand, Abend de Johannes Becher :

L’homme fort qui part pour l’Ouest avec le soleil levant
Je le loue avec joie
Il chasse une bête sauvage gorgée de sang dans le pays
Dans la journée dévore la ville
Se rassasie de cervelle
L’animal qui a déchiré la terre avec le mauvais désir ? 

 

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