Ce qui s’est passé ensuite, Sagawa ne s’est pas privé de le raconter et de le commenter à maintes reprises. Il voulait, confie-t-il au journaliste Patrick Duval, sentir le goût unique de la vie de Renée. Il lui raconta également que quatre jours après n’avoir mangé que la chair de Renée – il ne cache pas une certaine déception : trop de ressemblance avec le bœuf –, il eut envie d’une salade niçoise. Il se balada dans Paris. Il y avait une fête sur le pont Neuf. On entendait la Sixième symphonie de Beethoven. Il jeta la trousse de maquillage de Renée dans la Seine. « J’avais l’impression, dit-il, que l’esprit de Renée flottait sur la Seine. C’était très poétique, très beau. »
Arrêté dans des circonstances rocambolesques – il avait découpé en petits morceaux le cadavre de Renée et, muni de deux valises, s’était rendu en taxi au bois de Boulogne pour les jeter dans le lac –, il sera incarcéré à la prison de la Santé où son père, un riche industriel, lui apportera Crimes et Châtiments de Dostoïevski. Suivant l’avis de trois experts psychiatres, le juge Bruguière prononcera le 30 mars 1983 une ordonnance de non-lieu. Sagawa, pour les Français, ne relève pas de la justice mais de la psychiatrie. Au Japon, en revanche, où il retourne en toute légalité, les psychiatres ne cachent pas leur perplexité : rarement criminel aura été aussi normal. « Quant à ses compatriotes, écrit Patrick Duval, ils l’accueillent comme une sorte de champion de l’horreur, un phénomène digne du livre des records ». Auréolé de cette gloire inattendue, Sagawa commente pour la presse les faits divers les plus macabres, tourne dans des films porno, fait de la publicité pour des restaurants de viande, peint et écrit des livres aux titres évocateurs : J’aimerais être mangé, Excusez-moi d’être en vie ou Ceux que j’ai envie de tuer. Dans l’un d’eux, comble de l’ironie morbide, il dessine des jambes de femme dont le mollet est entaillé. Avec pour légende : « Je n’ai pas assez mangé ».

Il déclare à la télévision allemande : « L’esprit japonais est très différent du reste du monde. Les Japonais oublient au fur et à mesure que la société change. Les Européens, eux, n’oublient jamais. Alors qu’au Japon, je suis devenu un clown, ici, en Europe, je reste un cannibale. D’un côté, dit-il encore, je regrette d’avoir tué Renée, mais de l’autre, j’avais raison : c’était vraiment bon. »