Article publié dans le numéro 89 (novembre 2015) du Service Littéraire.
On ne les attendait plus. L’immigration avait cessé de faire peur. On avait avait supprimé les frontières. Il n’y avait plus de limites, ni de points de repère. On enseignait dans les écoles que le racisme et le nationalisme étaient les pires des fléaux. Certains s’insurgeaient encore que les riches devinssent de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres. La vieille rengaine marxiste qu’on écoutait en souriant. Il y avait bien de temps à à autre une petite crise. Juste histoire de se faire peur. Et quand l’Union Européenne dysfonctionnnait toute la classe politique chantait en chœur qu’il fallait plus d’Europe. On avait même trouvé un ennemi assez commode: Vladimir Poutine. Le bonheur était une idée neuve en Europe : on ne doutait pas que dans un État de Droit nourri de tant d’idéaux avec un peu de bonne volonté notre Boboland serait à la mesure de notre ramollissement intellectuel . On savait qui étaient les méchants: Bush fils, Pinochet, Assad, Khadafi et quelques autres. On avait fêté avec une ferveur les printemps arabes en oubliant que, parfois, certains peuples ont besoin de dictateur. On avait même réussi par un tour de force peu commun à transformer dans l’imaginaire des Français un pays aussi démocratique qu’Israël en un monstre hybride tout à la fois colonial et nazi. Les Palestiniens approuvaient bien sûr et les populations arabes dont le seul aphrodisiaque est la haine d’Israël manifestaient même au cœur de Paris en criant « Mort aux Juifs ! » sans que la police intervienne. Certes, on déplorait parfois ici ou là un attentat, mais on l’oubli ait aussitôt. Ce ne pouvaient être que quelques malades malades mentaux égarés dans une lecture archaïque du Coran qui passaient à l’acte. À la limite, il eut fallu les soigner plutôt que de les punir. Surtout pas d’amalgame.
Et cet été les Barbares sont arrivés. Il convenait de les accueillir avec nos règles de l’hospitalité et même d’encourager la venue de quelques centaines de milliers d’Africains et d’Orientaux. Étaient-ce des migrants, des réfugiés, des terroristes ? Face à leur afflux massif, nul n’était plus en mesure de s’en soucier. Certains suggéraient que les Allemands en raison d’un déficit démographique et d’une culpabilité ambigüe avaient besoin de nouveaux esclaves. D’autres se réjouissaient de la générosité des Européens. Dans un premier temps, les Barbares furent donc accueillis avec enthousiasme. Chacun en voulait un chez lui. Et, très vite, il fallut réapprendre le principe de réalité: des frontières psychologiques et géographiques existent. L’homme peut être un loup pour l’homme. Et même les réfugiés, pratiquement tous issus de pays musulmans, ont d’autres structures mentales que les Européens: ce qu’ils ont fui – et souvent avec les meilleures raisons du monde – ils n’auront de cesse de le reconstituer dans les pays qui leur ont ouvert les bras. Ils étaient victimes de la tyrannie politique et religieuse: ils le seront à nouveau. Et nous avec eux. Ce que l’homme a devant lui, c’est son passé. L’histoire ne fait que repasser les plats. N’oublions pas la chute de Constantinople. Et merci à tous ces migrants de déferler en Europe pour nous le rappeler !
Quant à Oswald Spengler, l’auteur prophétique du Déclin de l’Occident (1914), il doit songer qu’un siècle exactement après nous avoir livré les clés de notre avenir, il est peut-être un peu tard pour en faire un usage efficace. Thomas Mann disait qu’il n’avait cessé d’écarter ce livre (Le Déclin de l’Occident) de ses yeux pour ne pas être contraint d’admirer ce qui fait mal et ce qui tue. Il n’est hélas plus possible aujourd’hui de détourner son regard – sauf pour Attali ou Edgar Morin – sans passer au mieux pour un lâche, au pire pour un crétin.