
Nous sommes tous tellement prévisibles. Dans le bureau de Jean-Luc Douin au « Monde des livres », mon regard s’était arrêté sur « Hôtel Iris »de Yoko Ogawa. Jean-Luc m’avait dit : « C’est un roman pour toi. Prends-le ! »
Je me doutais qu’il y serait question d’un vieillard élégant et d’une gamine désœuvrée avec cette touche de sadisme qui rend jouissifs les sentiments les plus anodins. Pendant qu’elle serait ligotée, la fille se demanderait : « N’est-il pas déçu par mes seins enfantins, par mes cuisses trop lourdes, par les poils de mon pubis transpirant légèrement ? » Plus tard, elle aurait droit aux confidences du vieux monsieur : « Me noyer dans le désir physique me permet de vérifier que je suis toujours en vie. »
Bien sûr, il lui écrirait tous les jours. Bien sûr, il lui ferait lire les romans qu’il traduisait du russe. Bien sûr, il paniquerait à l’idée qu’elle pourrait s’ennuyer en sa compagnie : « Ce n’est pas très drôle pour une jeune fille de dix-sept ans de passer son dimanche avec un vieux monsieur comme moi. » Bien sûr, elle rêvait souvent qu’il l’étranglait. Mais c’est son cadavre à lui qu’on repêcha un jour dans la mer, à moitié nu, sa tête ayant doublé de volume et son corps gonflé par les gaz de putréfaction. Et, dans le tiroir de sa commode, on découvrit une quantité incroyable de photos d’adolescentes. Une initiation s’achevait. La jeune fille connaissait maintenant le goût du sorbet à la pêche et de la mousse à la banane. C’était bien suffisant pour survivre à la mort du Maître.
« Un roman pour toi », m’avait dit Jean-Luc avec un sourire entendu. Il avait vu juste.