ET YALOM A PLEURÉ…

Les Français ont Lacan. Les Américains ont Irvin Yalom. Quand j’ai vu le film de Sabine Gisiger :  » Irvin Yalom, la thérapie du bonheur « , j’ai compris pourquoi il n’y avait dans la grande salle de l’Arlequin que trois spectateurs : une très vieille dame, le romancier américain Steven Sampson et moi- même. Sur l’écran Yalom, visiblement affaibli par l’âge, citait Kant et Schopenhauer. Il donnait l’impression d’un homme apaisé qui ne verra plus le soleil, mais qui contemple une dernière fois le ciel étoilé face à la mer. Ce qu’il avait retenu de ses années de psychiatrie tenait en quelques phrases plutôt banales du genre : les hommes sont toujours plus malheureux qu’ils ne l’imaginent et par ailleurs ils n’accèdent qu’exceptionnellement à l’âge adulte dont personne ne sait précisément en quoi il consiste.
La seule différence entre les enfants et les adultes est le prix de leurs jouets.

Ce qui est émouvant chez Yalom, c’est qu’il ne cherche jamais à paraître plus grand qu’il n’est. Le film que lui a consacré Sabine Gisiger est une leçon d’humilité. Qualité peu répandue en France et encore moins chez les lacaniens. Yalom est demeuré ce petit garçon juif dont les parents avaient fui les pogroms dans les années 1920. Il n’a jamais très bien su d’où il venait – Russie ou Pologne sans doute -, ni pratiqué une religion. Ses parents tenaient une petite épicerie à Washington, les seuls juifs blancs dans un quartier noir. Irvin ne parlait pas à sa mère et avait peu de contact avec son père qu’il jugeait trop soumis. Bien des années plus tard quand il donnait des conférences sur la psychiatrie, sa mère quittait l’auditoire au moment des questions : elle avait peur qu’il ne trouve pas la bonne réponse. Tout ce qu’il dit avec une simplicité émouvante dans ce film pourrait s’adresser à sa mère.  » Tu vois, maman, nous sommes tous embraqués sur le même bateau, nous sommes tous confrontés à notre disparition et nous nous demandons quel sens ce voyage incertain a bien pu avoir.  » Irvin n’était pas un enfant heureux et cela se perçoit tout au long du film. Il n’était jamais à sa place ni comme psychanalyste, ni comme professeur de psychiatrie, ni comme mari, jusqu’à ce qu’il comprenne qu’ écrire de bons romans est la meilleure chose qu’un homme puisse faire dans sa vie. Et il l’a fait. Il avait rêvé d’être Dostoïevski ou Tolstoî. Les rêves d’enfant lorsqu’ils se réalisent apportent une paix intérieure qui se lit sur le visage. C’est peut-être cela la thérapie du bonheur. Être parvenu, grâce à Spinoza, Nietzsche ou Schopenhauter, à renouer un dialogue intime avec ses parents, même s’ils ne savaient pas lire. Sa mère, elle, bien qu’aveugle à la fin de sa vie tenait toujours un livre de son fils entre ses bras. Quand il l’a découvert, il a pleuré. Tout ce que je viens de raconter là fera sans doute ricaner des psychanalystes français. Il y a une forme d’humanité qui vaut toutes les acrobaties intellectuelles. Irvin Yalom l’incarne dans ce documentaire par ailleurs trop lisse et trop convenu. Et si l’on pouvait définitivement arrêter de filmer les bas-fonds marins pour évoquer les forces obscures de l’inconscient, quel soulagement ce serait !

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Une réflexion sur “ET YALOM A PLEURÉ…

  1. J’ai lu et aimé presque tout Irvin Yalom, mais n’ai pas vu le film cité en référence… merci donc, j’irai volontiers le voir quand il repassera par Paris.
    Quant à l’enfant que nous sommes et restons, nous le retrouvons avec Baudelaire et « le vert paradis des amours enfantines » ou Pasolini avec « Adulte ? Jamais »…

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