
Il m’arrive, le plus souvent la nuit, d’appeler mon père – jamais ma mère. Il ne me répond pas. Le voudrait-il qu’ il ne le pourrait pas. Et puis, il estimait que chacun devait affronter ses heures de désarroi et qu’il n’ y avait pas de remèdes à la maladie humaine. Nul ne vous tendrait la main et lui moins que quiconque : n’y a-t-il jamais eu d’autre horizon que la souffrance et la solitude ?
J’y songeais en lisant les poèmes admirablement traduits de l’italien par Renato Weber de Pietro De Marchi : « le papier d’orange ». Je devais ce livre à Ivan Farron qui l’avait préfacé et me l’avait remis en songeant que la victoire miraculeuse de la Suisse sur la France, victoire qui lui avait arraché des larmes ( à moi aussi, je l’avoue ) me ferait d’autant plus apprécier les poèmes de Pietro De Marchi sur le football.
Je me souviens de mon père prenant des trains de nuit pour assister aux matches du Lausanne – Sports contre les Young – Boys. La vieillesse est un voyageur de nuit. J’imagine le bonheur qu’il aurait ressenti en voyant la modeste équipe suisse affronter l’arrogance des Français et l’emporter. On peut mourir pour moins que ça ! Mais mon père était déjà incinéré au cimetière de Montoie depuis près d’un demi-siècle. La dernière victoire qui lui avait arraché des larmes était celle de la Suisse contre l’Allemagne en 1938 au Parc des Princes. Il est vrai que l’enjeu dépassait alors tout ce qui était imaginable : la guerre l’emportait sur le jeu.
Pas d’apitoiement : chaque vieillard que je vois quand le temps se teinte d’octobre, semble me dire : « J’ai été ton père autrefois ». Et pour conclure avec Pietro de Marchi ce poème :
« Aimant les paradoxes, il avait écrit qu’au fond tout le monde mourait au bon moment.
Il eut une longue vie et finalement, épuisé, comme la Sybille, il voulait simplement pouvoir mourir
de mort naturelle sans prolongations Inutiles. »
Mais il aurait raté le tir au but de M’ Bappé et l’exploit du gardien suisse Yann Sommer. Peut-être eût-il alors concédé que la vie ne comporte pas que des désagréments.
Les « P’tits Suisses » ne doivent leur victoire qu’à un ballon mal gonflé, qui a desservi les Français gonflés d’arrogance. En visionnant la baballe au ralenti, on voit qu’elle manque de souffle et retombe sur la tête des joueurs plus vite que d’habitude. Il s’agit d’un complot que les médias aux ordres font semblant d’ignorer. Pourtant les images parlent d’elles-mêmes, encore faut-il savoir les analyser, bien peu en sont capables.
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