UNE FLÂNERIE D’ESTHÈTE AU-DESSUS DE L’ENFER…

Le problème de la plupart des femmes c’est qu’elles peinent à trouver un homme qui soit tout simplement capable de les opprimer aussi parfaitement qu’elles le souhaiteraient. D’ où leur perpétuelle insatisfaction. Un de mes amis, un ingénieur, l’avait compris : il obligeait son épouse à apprendre par cœur un manuel de construction des barrages. J’ai rarement vu une femme aussi épanouie.
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George Sanders observait qu’une femme excuse qu’on lui fasse du mal, mais jamais qu’on se sacrifie pour elle.
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Au risque de choquer des oreilles innocentes, je peux vous assurer que l’égoïsme fait partie intégrante de l’âme aristocratique. De là à affirmer que les plébéiens en sont dépourvus, il y a un pas que je me garderai bien de franchir. Nous sommes dans tous les cas condamnés à utiliser ceux qui nous entourent. Tout est dans la manière. Il y a des princes chez les gueux et des fripouilles dans la haute société. Veillons toutefois à demeurer supérieur à nos dégoûts et à ne pas nous abaisser en nous chamaillant comme des chiffonniers ou des hommes politiques. La haine est le carburant de ces derniers : jamais ils ne font autant de mal qu’en feignant de se dévouer pour notre bien. D’ailleurs, l’expérience nous apprend vite qu’il y a plus de larmes versées sur nos prières exaucées que sur celles qui ne le sont pas.
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La vie ne serait-elle qu’une flânerie d’esthète au dessus de l’enfer ?Certains préféraient s’en passer. J’en fais partie. Plus pour longtemps. Mais sans jouer les fanfarons – ah le merveilleux film de Dino Risi – force m’ est de reconnaître que j’y ai pris plus de plaisir que je ne veux bien l’admettre. Mes petites amoureuses n’y sont pas pour rien. Mais aussi – et cela je me garderai bien de l’avouer – la possibilité qui m’a été donnée de pouvoir écrire en toute liberté ce qui traversait mon cerveau….pour le meilleur comme pour le pire.

L’INTERNATIONALE DES DÉGOÛTÉS DU GENRE HUMAIN

Peut-être était-ce une manière de me défendre, moi l’exilé des vieilles pagodes solitaires, mais j’ai toujours jugé préférable, même si j’en étais rarement capable, de jeter sur le malheur un regard froid. Mon père qui était un grand lecteur de Sénèque gardait toujours l’œil sec, contrairement à ma mère qu’un rien bouleversait. Désagréments, peines, deuils le concernaient à peine s’il s’agissait de lui, et absolument pas s’ ils touchaient autrui. Tout au moins n’en laissait-il rient paraître. Apprendre à mourir, me disait-il, c’est apprendre , tout au long de sa vie, à donner le minimum de soi en toute circonstance. La compassion, cette élasticité illimitée dans l’art de souffrir, que j’observais consterné et excédé chez ma mère, n’était pas dans l’esprit de mon père. C’était sa forme à lui de générosité. Par ailleurs, alors que ma mère jouait à merveille son rôle d’hystérique viennoise, il m’avait très jeune mis en garde : « Ne te laisse surtout pas impressionner : elles sont toutes folles. » Un père parlerait-il ainsi à son fils aujourd’hui ? Et d’ailleurs que reste-t-il de l’esprit du stoïcisme ?


Mon père me mettait aussi en garde contre la perfidie des femmes : leur but est moins l’enfant que de réduire l’homme à l’état de déchet. Je ne parvenais pas à le croire. Mais maintenant, un demi-siècle plus tard, en observant mes amis, je ne suis pas loin de lui donner raison. Certes, ils ont tous, ou presque,. goûté au plaisir des sens, mais ce n’est pas ce qu’ils ont trouvé de plus plaisant, tout au moins après quelque temps. Mais comme le seul malheur est de se croire malheureux, ils n’ en ont rien laissé paraître. Aussi finissent-ils tous par adhérer à l’Internationale des dégoûtés du genre humain, la seule Internationale dont on peur prédire avec certitude qu’ elle ne disparaîtra jamais.


Pour mon père, l’individu n’était qu’une bulle éphémère, partie quasi insignifiante de l’écume qui surgit avant de s’effacer. Conscient de la nullité de son état et des souffrances et illusions que lui procure cette nullité, l’individu qui réfléchit cherchera l’extinction, le retour à la nuit informe de l’universel. Annihiler, c’est rendre à la vie sa logique. Un mauvais démiurge a voulu, au sens le plus fort du terme, le cosmos. Fatigué de cet enfantillage, il en voudra très probablement l’extinction. Mon père, en prenant les devants, a anticipé sur ce qui ne manquerait pas de se produire. J’ai retrouvé cette compréhension quasi abyssale de la fatigue de l’être chez Freud. C’est sans aucun doute ce qui m’a poussé à faire ma thèse sur la pulsion de mort et la quête de Thanatos. Et pourtant, je suis encore là au soleil à écouter les Platters en lorgnant les filles…

MON AMI JAPONAIS KOBAYASHI HIDEO SE CONFIE…

Nous étions d’accord au moins sur un point : l’homme est un miracle sans intérêt. La mort est la seule chose plus grande que les mots qui la nomment. Si j’avais dû définir en deux mots mon ami Kobayashi , j’aurais dit qu’il était un pèlerin du néant. Il admirait le poète Jacques Rigaut qui répétait volontiers que le suicide est une vocation. Il avait d’ailleurs annoncé son suicide pour ses quarante ans et il avait tenu parole. Moi aussi j’avais annoncé mon suicide pour mes quarante ans et je suis encore là avec toi chez Yushi entrain de siroter un flacon de saké. Il éclata de rire. « Tu sais, me confia—t’il, moi aussi j’ai longtemps rôdé autour du suicide. J’ai tenté de me suicider deux fois : la première fois par ennui et la seconde à cause d’une femme. Je n’ai jamais raconté cette histoire à qui que ce soit. Il n’y a rien de plus stupide que le récit d’un suicide manqué. C’est aussi bête que de raconter ses rêves. D’ailleurs de quoi pourrions-nous encore rêver ? Les filles nous filent entre les doigts : nous ne représentons plus un capital suffisant et l’ennui nous guette. » « Il fut un temps, marmonnais-je, où je croyais encore en la politique. Cela n’a pas duré longtemps : pourquoi libérer les hommes, puisqu’ils naissent libres, en ayant chacun àchaque instant la liberté de mourir. Je lisais beaucoup Sénèque à cette époque. »« Et moi, très jeune, ajouta Kobayashi, la vie m’est apparue comme une odeur de cuisine nauséabonde qui s’échappe par un soupirail. On n’a pas besoin d’en avoir mangé pour savoir qu’elle est à faire vomir. »
Et pourtant nous sommes encore là devant nos flacons de saké, totalement désabusés, comme des chiens attachés à leur laisse, attendant que leur maître leur jette un os. Faute de mieux, nous le rongerons. Le plaisir que nous prenions à gambader a disparu depuis longtemps. Le Maître nous prendra contre lui sur le divan et allumera la télévision. Des hommes courent derrière un ballon. Le Maître les regarde avec une certaine condescendance. Il est un Dieu à ce moment sous les cris des supporteurs. Et nous qui sommes-nous, nous qui n’avons jamais rien été ?

L’EXQUISE IRONIE CÉLESTE

Mes amis sont toujours surpris quand je cite le mot de Freud : « À quoi bon vivre quand on peut être enterré pour cinquante dollars ? » Il avait été frappé par cette publicité pour une entreprise de pompes funèbres à New-York. Il l’avait faite sienne.
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Il est préférable d’éviter de devenir un spécialiste de quoi que ce soit. Pourquoi ? Proust répond : dès lors qu’on est considéré comme tel – de l’hérédité à la politique extérieure bulgare – on est amené à en parler toute sa vie, si l’on n’y met pas bon ordre. Ce que l’on gagne en prestige, on le perd en subtilité intellectuelle. J’ai failli tomber dans le piège avec la psychanalyse. Jusqu’à ce que je comprenne qu’il est préférable de ne se piquer de rien. Il en est de même dans la vie sentimentale: la fidélité, si légère à ses débuts, devient vite un poids qu’on supporte plus ou moins bien, mais dont on donnerait cher pour se débarrasser.
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Diogène, avant d’accepter un disciple, lui demandait de traîner un hareng en laisse sur l’Acropole : si le philosophe n’est pas prêt à supporter la réprobation générale, il n’est pas prêt non plus à penser librement, à remettre en cause les idées reçues, seul au besoin.
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Freud disait volontiers de ses patients que c’était de la racaille et qu’il leur tordrait bien le cou à tous. « Sachez, en effet, écrivait-il, que dans la vie je suis terriblement intolérant envers les fous : je n’y découvre que ce qu’ils ont de nuisible.» Le mieux, ajoutait-il, est de les mettre sur un vieux rafiot et de les expédier à l’autre bout du monde. Ils ne méritent pas le temps que nous leur consacrons. Le nihilisme thérapeutique viennois avait quand même du bon…
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La bonté absolue n’est pas moins dangereuse que le mal absolu. Ni aimer, ni haïr : voila la moitié de la sagesse. « Ne rien dire et ne rien croire », voilà l’autre moitié.
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Il m’arrive de me demander si je ne suis pas pour le meilleur comme pour le pire une machine à calcul au service d’une machine à plaisir. Seule consolation : je ne suis pas le seul.