SCHIFFTER, LE PESSIMISTE CHIC

Pour taquiner l’ami Schiffter, Clément Rosset l’avait qualifié de « pessimiste chic ». Il aurait pu tout aussi bien utiliser une autre expression, celle de « voluptueux inquiet », tant Frédéric Schiffter – et il le reconnaît volontiers – résiste à l’idée d’une joie de vivre qu’il dédaigne, assez lucide pour savoir que nous sommes tous amenés à devoir renoncer tôt ou tard aux rares plaisirs que l’existence nous accorde pour mieux nous duper. 
À peine jouissons-nous de ces rares moments, comme volés au destin, que nous en éprouvons déjà la nostalgie, car tous ont le goût de la perte. Aussi Schiffter a-t’il fait sienne la sentence de Giordano Bruno : être gai dans la tristesse de la mort qui vient et triste dans la gaieté des plaisirs fugaces. Son pessimisme chic, pointé par Clément Rosset, est son armure, ainsi qu’une forme d’affabilité qui lui évite d’entrer en matière avec les importuns. La sensibilité chez lui se modèle sur une pensée imprégnée de schopenhaurisme, alors que chez nous tous il s’établit un divorce plus ou moins complet entre le cœur et le cerveau. Il n’est sans doute pas très confortable d’être possédé par des idées qui sont vivantes et réelles, comme des êtres, mais c’est ce qui distingue un vrai philosophe-né des autres hommes. Ce que j’avais aussitôt perçu quand j’avais édité son premier livre sur le bla-bla et le chi-chi des philosophes. Il est vrai que pour nous deux Schopenhauer était le patron, contrairement à l’ami Rosset qui oscillait entre ce jouisseur désabusé qui nous plonge dans l’effroi et Nietzsche qui, en dépit de tout, prône un gai savoir, voire une joie de vivre. Sur cette opposition, le texte publié dans « Philosophie magazine » ( mai 2021 ) par Schiffter nous offre deux manières de savourer le pessimisme, l’une plus amère, l’autre plus apaisée, mais toutes les deux également roboratives.
J’ajouterai à titre personnel que Schopenhauer avec sa compréhension abyssale de la fatigue de l’être, aura anticipé sur Freud. La pulsion de mort, la quête de Thanatos dans la dernière pensée freudienne n’est finalement qu’une reprise du bouddhisme schopenhauerien. La Volonté, au sens le plus plein du terme, a voulu le cosmos. Fatiguée de cet enfantillage, elle en voudra très probablement l’extinction. Le pessimiste chic pressent le retour à la nuit informe de l’universel. Et s’il lui arrive de se réjouir de l’extinction de l’espèce humaine, c’est pour assister au retour du néant .Annihiler, c’est rendre à la vie sa logique. Quand l’univers sera éteint, disait Kierkegaard, la musique continuera à faire «  le bruit de l’être ». Rosset en jouira sans doute encore. Schiffter certainement pas.

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2 réflexions sur “SCHIFFTER, LE PESSIMISTE CHIC

  1. D’après Montesquieu « l’homme d’esprit ressent ce que les autres ne font que savoir ». Schiffter, comme son patron Schopenhauer, ressent plus encore que ceux pour qui la vie est déjà une tragédie, au contraire de la masse qui pense le monde comme une comédie et continue de se reproduire dans la joie et l’insouciance, probablement à cause du journal de 20H d’Anne Sophie, trop jolie pour qu’on croit les mauvaises nouvelles qu’elle nous annonce avec le sourire. La remplacer par Schiffter serait pire, il est trop beau, les téléspectatrices finiraient par adorer les mauvaises nouvelles et se reproduire encore plus. Ici, aucun problème, personne n’a la télé.

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  2. J’ai lu le livre où il raconte la mort de son père : une bonne partie de son pessimisme vient de là. Ce que je comprends fort bien. Et jaime bien aussi son côté loir paresseux.

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