LETTRE À HYACINTHE

Cher Hyacinthe, ce serait bien mal me connaître de croire que je suis, comme vous l’imaginez peut-être, un «  maniaque de l’écriture » : nager au soleil, jouer au tennis de table, badiner avec de délicieuses gourgandines me procurent autant, sinon plus de plaisir. Sans oublier les échecs ( formule Blitz ) ou les matches de football ( hélas à la télévision maintenant …les affronts de l’âge ) me procurent autant de plaisir que mes griffonnages. Il y a des lecteurs pour les apprécier et je m’en réjouis.

Mais pour ne rien vous cacher, être metteur en scène – style Fritz Lang – à Hollywood n’aurait pas été non plus pour me déplaire… ce sera pour une autre vie, à supposer que nous puissions bénéficier d’une seconde chance, ce dont je doute fort.
Vous évoquez, cher Hyacinthe, le grand quotidien du soir, « Le Monde » où j’ai eu le privilège d’atterrir après de modestes études universitaires à Lausanne. Ce fut un âge d’or. Je m’y liais avec François Bott, l’élégance même, Jean-Michel Palmier, Tahar Ben Jelloun, Gabriel Matzneff et quelques autres que j’évoque dans « Le Monde d’avant » en me tenant toujours à l’essentiel, c’est-à-dire à l’anecdote.

Par ailleurs, je vivais alors – les passions ne sont pas faites pour durer – avec une jeune romancière vietnamienne draguée à la Maison des Lycéennes (tout un programme). Les années ont passé et elle n’est pas loin de rejoindre l’Académie française, ce qui compte tenu de ma réputation douteuse, ne risque pas de m’arriver, pas plus d’ailleurs qu’à mon ami Gabriel Matzneff. Nous aurons au moins connu des étés torrides à la piscine Deligny dans une insouciance totale.


Cher Hyacinthe, comme vous me le rappelez, me voici à l’âge où mon père s’est suicidé, suivant les pas de son propre père. L’âge aussi où notre maître à tous, Emil Cioran, s’est progressivement éteint. Tous les trois m’ont montré le chemin à suivre. Je leur dois d’avoir pressenti très jeune déjà que la différence entre la vie et la mort est infime et que privilégier l’une au dépens de l’autre témoigne d’une forme de débilité.


Vous me demandez, cher Hyacinthe, s’il m’arrive de lire encore « Le Monde ». Je l’ai quitté en 2001, assistant consterné au naufrage de ce Titanic du journalisme, maintenant au service d’idéologies bien-pensantes qui me révulsent. Les temps ont changé et il est temps d’affréter ma modeste embarcation pour d’autres horizons. Ou de boire le sirop mexicain qui m’enverra ad patres. Après tout personne ne vous oblige à être vieux…
N’ayant pas le goût des effusions sentimentales, je ne m’étendrai pas, cher Hyacinthe, sur les morts récentes de deux très proches amis, Clément Rosset et Pierre-Guillaume de Roux, ni sur l’ignoble chasse à l’homme qu’à connue Gabriel Matzneff. Je préfère m’arrêter ici. Vous comprendrez pourquoi.

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3 réflexions sur “LETTRE À HYACINTHE

  1. Sublime, forcément sublime, de véracité, profondeur de champ à l’heure du bilan, apothéose d’une ascèse de l’écrit surhumaine, et en même temps épicurienne.

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  2. Tout cela me semble très correct. Un seule question demeure : pourquoi diable avez-vous voulu vous faire vacciner ? je ne vois que la tentative de suicide.

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