J’AI COMPRIS SCHOPENHAUER À DOUZE ANS…

Le pire épisode de ma ma vie qui, il est vrai, n’en compte pas beaucoup, je l’ai connu à Schiers, une maison de correction située dans le fin fond des Grisons, un canton suisse réputé pour ses stations de sport d’hiver – St-Moritz, Davos – sa viande séchée des Grisons (à ne pas confondre avec les bisons), la pension de famille où logeait Nietzsche et où il aurait eu la révélation de l’Éternel Retour de toutes choses ( Dieu nous en préserve ). Bref, nous sommes non loin de la Montagne Magique qui fut pour moi une montagne maudite.
J’avais douze ans et je coulais des jours douillets à Lausanne quand mes parents eurent la saugrenue idée de m’envoyer à Schiers pour, disaient-ils, pensaient-ils, m’apprendre l’allemand et la discipline. J’avais raté ma première année au Collège Cantonal de Béthusy : j’allais le payer au prix fort.
Dans le train qui me conduisait à Coire, j’avais en face de moi un taré qui ne cessait d’enlever et de remettre son œil de verre. Cela augurait bien de la suite. Arrivé à Schiers, on me conduisit dans un bâtiment qui ressemblait à une caserne et où logeaient six cents garçons, de solides gaillards qui parlaient une langue dont je ne comprenais pas un mot. J’étais le plus jeune d’entre eux, le plus fragile, en deux mots : le souffre-douleur idéal. Entre autres sévices , on me plaquait contre un mur et on me lançait des couteaux. Ou alors, la nuit, je devais longer le parapet du sixième étage de cet hideux bâtiment : à plusieurs reprises j’ai failli me jeter dans le vide. L’Eternel retour, non ce n’était pas pour moi. D’autant plus qu’on nous servait à manger du boudin noir. Mes parents avaient oublié jusqu’à mon existence : je les comprenais : ils avaient déjà commis une erreur en me mettant au monde. Autant ne pas d’arrêter en si bon chemin…

Si Cioran jouait au football avec des crânes volés dans un cimetière voisin de Rasinari ( qui appartenait encore à l’empire autrichien ), nous passions notre temps libre dans les abattoirs de Schiers, les pieds dans le sang du bétail secoué par la terreur. Nous ramassions les yeux des vaches mortes et nous les utilisions comme ballons de foot, quand ce n’était pas comme projectiles. J’ai beaucoup gagné à observer et, parfois, à participer à ce genre de spectacles. Dorénavant, j’étais prévenu : les enfants sont des fascistes et l’humanité de la racaille. Mes études schopenhauriennes, c’est à Schiers que je les ai faites. Je ne le regrette pas. Il vaut mieux savoir très jeune dans quel monde vous aller évoluer. J’en ai tiré la conclusion qu’il n’est pas très ragoûtant et qu’il n’est pas aisé de s’en tirer le mieux qu’on peut. J’y suis parvenu. Mais je préférerais ne pas avoir à recommencer. Et si l’humanité venait à disparaître, j’en éprouverais une réelle jubilation. Inutile de préciser que je considère tous ceux qui veulent sauver la planète au mieux comme de sombres crétins, au pire comme des criminels.

2 réflexions sur “J’AI COMPRIS SCHOPENHAUER À DOUZE ANS…

  1. Les vestiaires féminins semblent plus calmes, au moins jusqu’à l’arrivée des premières menstruations où les filles comprennent qu’elles pataugeront dans le sang une bonne partie de leur vie, d’où les vocations précoces d’infirmières dont les meilleures finissent parfois directrice de maison de retraite, affichant un sourire satisfait à l’énonciation du faible pourcentage de mâles parmi la clientèle.

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