QUAND MON ÂME S’ENVOLE…

Oui, la vieillesse est bel et bien un voyageur de nuit : la terre lui est cachée; elle ne découvre plus que le ciel. Et c’est souvent alors, écrivait Chateaubriand, que l’âme des hommes de génie s’envole avec un dernier chef-d’œuvre. Ont-ils conscience que leur flux vital a été tout entier absorbé par leur œuvre et que, pressés comme des citrons, l’idée d’un texte définitif ne relève plus plus que de la religion ou de la fatigue ? Et pourtant renoncer leur semblerait indigne. Ils se demandent parfois où va le vide qui les entraîne. Lao-Tseu répondrait : le vide va et et vient comme le vent. Parfois, nous disons au revoir à quelque chose ou à quelqu’un, mais nous ne savons plus à qui. Ces adieux sont notre chef d’œuvre à nous qui ne sommes pas des génies, juste des silhouettes titubant dans le vent, pauvres débris d’humanité mûrs pour l’éternité.
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Kenneth White me rappelait que Nietzsche ne disait jamais Nice, mais toujours Nizza, la forme italienne qu’il entendait autour de lui. « Nietzsche à Nizza » : la sonorité même de la chose suffisait à lui donner la sensation d’avoir enfin trouvé son lieu, le lieu parfait pour le thème principal de tous ces kilos de manuscrits qu’il coltinait toujours avec lui. 
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Quand quelqu’un me demande où il conviendrait de voyager, je lui réponds toujours : en direction de votre peur. Rares sont ceux qui me prennent au sérieux. Plus rares encore ceux qui sont prêts à me suivre. Pourtant, je ne connais pas d’autre destination. Pour les rassurer sur mon état de santé mentale, je leur parle de Lao-Tseu qui partit un jour pour l’Ouest sur le dos d’un buffle aux yeux bleus. On ne l’a jamais revu. Ce fut son ultime chef-d’œuvre. 
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Je ne suis qu’une vieille bête maladroite, disait ce poète zen dont le nom m’échappe. Il ajoutait qu’il ne comprenait pas comment pendant des décennies il ‘était tiré d’affaire. « Et maintenant, pieds nus, je parcours le vide. Quel non-sens ! »
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Que faire quand on a perdu son punch, temporairement ou définitivement ? Je suis d’accord avec Raymond Chandler : quand on ne peut plus lancer de bonnes balles, c’est son cœur qu’il faut lancer. Le champion lance toujours quelque chose. Il ne va quand même pas s’asseoir au vestiaire pour pleurer.
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La vie est comme nous l’avons trouvée, la mort aussi dit Lao-Tseu. Un poème d’adieu ? Pourquoi insister ? Il s’éloigna sur son buffle aux yeux bleus. Comme j’aurais aimé le suivre !

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3 réflexions sur “QUAND MON ÂME S’ENVOLE…

  1. « Quel est le bon lieu, se demande de son côté Jean-Pierre Richard dans ses Essais de critique buissonnière, celui où trouver, ou bien retrouver l’autre, le soi, la plénitude ? L’écrivain a beau faire, qui saura jamais vraiment où il se cache… ? » Quel est donc votre lieu, votre bon lieu à vous, Roland Jaccard ? Certainement pas Nice ou Nizza, car on sait votre détestation des bords de mer. Nice où, soit dit en passant, on peut quand même aussi s’éloigner de la mer, et prendre un peu de hauteur, pour aller visiter ou interroger le maître de Richard, Georges Poulet, comme vous l’avez fait en 1985… De cette rencontre je n’ai trouvé qu’une ligne, dans votre Journal d’un homme perdu, quand il m’aurait plu d’en lire davantage. Richard qui se ressourçait dans l’œuvre de Poulet, mais qui prenait aussi beaucoup de plaisir à lire RJ, comme il me l’a un jour confié au Rostand, après avoir enrichi sa lecture thématique d’un intérêt grandissant pour la psychanalyse.
    Mais votre « bon lieu » ? Vous lisant, on se demande si finalement ce n’est pas Lausanne, après que le paradis d’hier, Paris, est devenu une sorte d’enfer. Lausanne qui met quand même à portée presque immédiate de votre main, de votre œil ou de votre mémoire, un palace, des piscines, le ping-pong, le cinéma, des nymphettes, Constant ou encore Vinet…
    Lausanne donc, ou le journal que vous continuez d’y tenir…

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  2. Oui l’apaisement de la Voie… puis, si l’on veut rester romantique, relire « Monsieur le Vent et Madame la Pluie » du frère d’Alfred Musset ! Cordialement.

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