
Ne me demandez pas où est Gourville: je n’en ai pas la moindre idée. Et la description qu’en fait Olivier Mathieu dans : « Encore une gorgée de soleil » ne m’incite pas à lui donner rendez-vous au comptoir du Café du Commerce pour y médire du monde et contempler l’effondrement d’un pays, la France, qui ne nous donne plus qu’une envie : la fuir. D’ailleurs Olivier Mathieu ne vit même pas à Gourville, mais dans un champ jaûnasse, envahi par les fleurs de colza et où pourrit la carcasse d’un cheval. Le logis mis à sa disposition est situé au beau milieu de ces champs : la nuit, il oscille entre insomnie et cauchemars. Le jour, il rêve de retourner à Florence ou à Venise, mais même Paris lui est inaccessible. La dèche, passé soixante ans, conduit droit à l’effondrement. Ne lui reste plus qu’à ressasser des souvenirs, toujours les mêmes : David Hamilton, Dawn Dunlap et la ribambelle de fillettes qui le laissaient songeur dans son adolescence où il avait été élevé dans le culte de l’échec, tant en amour qu’en politique.
Toujours élégant dans son style, il profite de cet ultime livre, souvent poignant, pour remercier les jeunes filles qui ne laissent traîner sur la Toile aucune trace de leurs existences de retraitées. De la sorte, ajoute-t-il, elles n’abîment pas le souvenir trompeur que, quelque fois, je m’efforce d’avoir conservé d’elles. Il est vrai, nous l’avons maintes fois observé, on ne tombe amoureux que d’un âge. Pour ma part, le fétichisme de l’âge m’a rendu de bien mauvais services. Sur ce point au moins, Olivier et moi sommes d’accord : quand la chair des jeunes filles en fleurs se flétrît, on peine à voir la différence avec les champs qui entourent Gourville.
Parfois, néanmoins, un rayon se soleil efface l’amertume. En se rendant au Café du Commerce pour ne pas sombrer dans une mélancolie irréversible, une voiture s’arrête pour le prendre en stop. Et c’est ainsi que surgit Aline, vingt-cinq ans, baby-sitter, dans la morne vie d’Olivier. Au début, il osait à peine la dévisager. Il convenait de ne pas l’effaroucher. Une plainte est si vite déposée. Mais elle lui plaisait bien avec son grand nez et ses yeux bleus. Et d’ailleurs qui ne lui aurait pas plu, à onze kilomètres de Gourville, dans la solitude la plus totale. Ils se revirent jusqu’à ce que le confinement interrompe une histoire à peine ébauchée. Lui a-t’il fredonné : « Capri, c’est fini » ? On ne le saura jamais. Mais on se doute bien qu’à Gourville les passions ne sont pas faites pour durer. De toute manière, Olivier qui a un sens très sûr de l’échec, aurait préféré son désespoir à Aline. On reconnaît un écrivain, un vrai, à tout ce qu’il sacrifie pour son œuvre. Même à onze kilomètres de Gourville, Olivier Mathieu, ne s’accroche pas à la bouée de sauvetage que lui offre le destin. Il préfère crever en solitaire …. comme je le comprends !
Quel bel article, Roland.
Gourville, Illiers Combray…
https://defensededavidhamiltonblog.wordpress.com/2021/02/28/roland-jaccard-recense-avant-la-nuit-encore-une-gorgee-de-soleil/
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Beau livre, je confirme (« encore une gorgée de soleil » qui n’est guère plus facile à se procurer que ce « vanessavirus » dont parlent les gazettes), auteur écrivain de haute lignée (aussi confidentiel pourtant que Gab la Rafale), et charmante recension jaccardienne. On ne boude pas un triple plaisir pareil.
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