A LA PISCINE DELIGNY AVEC GABRIEL MATZNEFF…

Mon ami Ivan Faron, excellent écrivain suisse dans la lignée de Thomas Bernhard ( il faut lire absolument : « Un après-midi avec Wackernagel » ) souhaitait lire un article que j’écrivais dans ma jeunesse. J’ai choisi celui que le supplément littéraire de la Gazette de Lausanne avait publié il y a un demi-siècle et qui concerne un écrivain qui a beaucoup compté, pour le meilleur et pour le pire, dans ma vie, et qui a défrayé la chronique de manière fort injuste l’an passé : Gabriel Matzneff. Voici donc pour Ivan Faron et pour tous ceux qui ont suivi la chasse à l’homme dont il a été victime ce document d’un autre temps. 
«  Gabriel Matzneff a une plume et du tempérament. Deux romans ( « L’Archimandrite » et « Nous n’irons plus au Luxembourg », trois essais au ton très personnel ( « Le défi », « Comme le Feu mêlé d’Aromates » et « Le Carnet arabe » ) ont fait la réputation de ce jeune écrivain – 36 ans – qui ne ressemble à aucun autre. Il aime, dans ses livres, citer ses chers Romains : Lucrèce, Pétrone, Sénèque, se pique de réconcilier Dionysos et Jésus-Christ; s’ingénie à brouiller les pistes; passe avec désinvolture des sujets apparemment les plus légers à des méditations sur l’orthodoxie, l’amour ou la mort.
Il fut, on s’en souviendra peut-être, beaucoup question de lui durant le mois d’avril : pour avoir, avec Jean-Claude Barat, dispersé les cendres d’Henry de Montherlant, son maître et ami, sur le Forum romain durant la nuit du 21 au 22 mars. Il reçut de ses confrères parisiens une volée de bois vert. Les mobiles les plus indignes lui furent prêtés : entre autres celui d’avoir participé à cette “ folle équipée ” dans le seul but de passer à la postérité. Il est vrai que, comme il l’écrivit par la suite, il est très parisien de mettre un point d’honneur à n’être ému de rien et à ricaner de tout.
Le premier roman de Gabriel Matzneff « L’Archimandrite » avait, entre autres, pour cadre la piscine Deligny, les fameux bains Deligny qu’évoquait déjà Proust, et qui, posés sur la Seine, constituent un heureux prolongement au boulevard Saint-Germain. C’est là que par le plus grand des hasards, entre deux minettes offrant leurs aréoles aux caresses du soleil, j’ai rencontré Gabriel Matzneff. « Avec sa taille élancée, son visage fin aux pommettes saillantes, son teint doré et son crâne presque rasé, il ressemblait à un jeune seigneur mongol que son père aurait envoyé en Europe pour y apprendre les bonnes manières. » Cette description est celle de Cyrille Razvratcheff dans « L’Archimandrite ». Il pourrait être, il est le double de Gabriel Matzneff.
Entre deux parties de ping-pong, je lui ai posé les quelques questions suivantes. Et, tout d’abord, la classique ( inévitable et peut-être stupide ) question sur sa réputation d’homme de droite.

  • Il y a là, m’a-t-il répondu, à l’origine un malentendu que je tiens à dissiper. Dans mes chroniques de “ Combat ”, il y a une dizaine d’années maintenant, j’ai demandé la clémence pour les terroristes de l’O.A.S. Bien que farouchement hostile à l’Algérie française, j’estimais – et j’estime toujours – qu’un écrivain doit toujours prendre la défense des gens qui sont en prison. C’est pour moi une règle absolue. On ne me trouvera jamais du côté des gendarmes et des juges et quel qu’il soit, un homme en prison m’est un frère. Ce qui explique qu’aujourd’hui, je manifeste pour Krivine et pour la Ligue communiste. Seulement, à l’époque, j’étais le seul à prendre la défense des gens de l’O.A.S. Même les écrivains de droite n’osaient pas. À partir de là, on m’a collé une étiquette et elle m’est restée. Cela dit, je n’ai jamais été de droite. Sur presque tous les problèmes contemporains, l’Algérie, le Vietnam ou la Palestine, les idées de la gauche sont les miennes.
  • Plus précisément…
  • Au fond par tempérament, je suis un anarchiste. Avec Tolstoï, je pense que le seul bon drapeau est le drapeau noir. J’aime beaucoup Wilhelm Reich que je relis actuellement.
  • Revenons à Deligny : c’est un des hauts lieux de votre mythologie ?
  • Oui, j’y viens depuis seize ans; c’est devenu un club pour moi. Après avoir publié “ L’Archimandrite ”, la Télévision française est venue m’interviewer ici. Mon prochain roman – un roman d’amour – aura de nouveau pour cadre cette piscine. Lorsque j’étais marié, mon épouse Tatiana, n’y mettait jamais les pieds. Par là, elle me prouvait qu’elle respectait ma liberté.

( À cet instant précis, comme par enchantement, apparaît Tatiana. Elle glisse gracieusement sa serviette de bain à côté de celle de Gabriel : de l’utilité et du charme éventuel du divorce…)

  • Vos impossibilités ?
  • Me prendre au sérieux. Une impossibilité absolue : le style professeur. Le style Garaudy, par exemple. Le style mort- vivant.
  • Comment travaillez-vous ?
  • Depuis trois semaines, je n’ai pas écrit une ligne. Je n’ai aucune discipline de travail, sauf dans les périodes de crise. Je prends de nombreuses notes dans mes carnets que j’utilise pour mes essais ou mes romans. J’en publie des extraits dans “ Les Nouvelles Littéraires », mais je m’efforce d’épargner aux lecteurs des histoires de fesse ou de coeur – cela revient presque toujours au même. En fait, je vis très librement en réduisant mes besoins au maximum.
  • Avec quels écrivains, vous sentez-vous le plus d’affinités profondes, secrètes ?
  • Dostoïevski, Nietzsche et Byron. En France ….( il hésite ) : Cioran et Gracq.

Après cet entretien, je lui ai demandé quels étaient ses maîtres. La réponse a fusé : 

  1. Héraclite qui a posé la contrariété comme fondement de la vie de l’esprit.
  2. Sénèque qui, dans le quotidien de l’existence, est le meilleur des professeurs.
  3. Schopenhauer, cette intelligence cruelle qui a pour jamais soulevé le voile de Maya.
  4. Chestov qui déclare la guerre aux évidences et nous introduit dans l’univers du terrible.

Gabriel Matzneff est rapidement devenu un de mes amis les plus proches en dépit de tout ce qui nous séparait et de brouilles momentanées. Il est aujourd’hui dans l’univers du terrible. Il va de soi que j’ai pris sa défense : la piscine Deligny crée des liens indéfectibles.

6 réflexions sur “A LA PISCINE DELIGNY AVEC GABRIEL MATZNEFF…

  1. Cher Roland Jaccard, je vous tire mon chapeau. Il faut un grand courage pour saluer aussi placidement que vous le faites le paria dont nul aujourd’hui n’ose même prononcer le nom. Et de mépris des ‘serre-files’ pour s’en dire l’ami. Au train où vont les choses il ne restera d’ailleurs bientôt personne pour oser, sans posture ni tremblote, défier la foule hystérique, l’Egrégore, comme dit une amie prof.
    Merci pour vos chroniques toujours élégantes, profondes et d’une parfaite simplicité ! Et oubliez le thé amer pour l’instant.

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  2. J’aurais préféré connaître le regard que vous portez aujourd’hui ( et non il y a 40 ans) sur l’œuvre de Matzneff.Il a peut-être été un écrivain prometteur,mais aucune promesse n’a été tenue,notamment celle d’épargner au lecteur ses histoires de cœur et de fesses.Matzneff a disparu du paysage littéraire et c’est très bien ainsi.

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  3. -Matzneff, deuxième histoire de « Swimmer » du mois de Janvier sous la neige, un peu plus salée que la première, avec des grosses vagues qui ont rincé beaucoup de monde sur leur passage, sauf ici, on s’en réjouis.

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  4. Oui merci pour cet article. J’ai tous les livres de GM. Ils m’ont bien aidée a certains moments de la vie. Celui de la petite Springora se lit en 2h.

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  5. La nostalgie de ces vieux con-pairs me désole. Elle est triste comme cette fatalité de la chair qui se dénie. Il suffit d’une photo au bord de la piscine pour constater ce que la nostalgie a dans ce cas de pathétique. Faut-il donner le change et faire croire à nos vieillards qu’effectivement, ça devait être mieux avant. Déni de soi, déni des autres incontestablement. Quand on a souillé des vies par refus de son éphémère destinée, au minimum on s’excuse, au pire on se tait. Pire que cela, il récidive en sortant la photo, ce portait de Dorian Gray déjà consumé dès l’origine. Qu’il est admirable de contempler ces « as been » en moule bite, la raquette de ping pong à la main entrain de refaire le monde à la piscine parisienne. Cette époque ne peut apparaître enviable qu’à ceux qui ont déjà tout perdu. Bien évidemment c’est à vomir.

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