S’il y a un film dont je me souviens plan par plan, c’est « The Swimmer » de Frank Perry, le film le plus givré du cinéma américain qui fit un flop en 1968, lorsqu’il sortira sur les écrans américains. Il est alors à l’opposé de l’esprit du temps : sombre et glacial, comme ce nageur, magnifiquement interprété par Burt Lancaster, qui aspire à retrouver sa maison et le fil de sa vie en allant de piscines en piscines. Tout lui sourit lorsqu’il s’invite en maillot de bain bleu au barbecue donné par d’anciens amis. Personne ne sait d’où il vient, ni où il va. Le spectateur pressent qu’il va à sa perte, mais il n’en mesure pas l’ampleur. À l’image de nos existences. Même l’entrée dans une piscine municipale lui sera bientôt interdite : il se métamorphose en looser absolu que même son ex-femme rejette. De piscine en piscine, son charme et son pouvoir de séduction s’éteignent jusqu’à la catastrophe finale, celle qui nous attend tous, nous renvoyant à la solitude de notre propre condition, celle que nous avons toujours voulu écarter. Nous sommes nus et l’heure de fermeture a sonné dans les piscines de notre enfance. Quoique nous ayons entrepris, à la fin nous aurons tout perdu. Tout.
On comprend que Burt Lancaster, incarnation du rêve américain et symbole d’une virilité à toute épreuve, ait été de plus en plus mal à l’aise au cours du tournage au point d’exiger que certaines séquences, notamment celle avec son ex-femme ( elle l’était dans la réalité ), soient tournées par Sidney Polack. Ce sera pire encore. Une malédiction plane sur ce film, comme sur Burt Lancaster. Frank Perry qui n’a que trente-cinq ans et déjà un chef d’œuvre ( « David et Lisa » ) à son actif, meurt d’un cancer. Il faudra près de cinquante ans pour que « The Swimmer » sorte de la clandestinité et qu’il devienne le symbole de nos désastres intimes. Nous l’évoquons souvent lors de nos dîners au Lausanne – Palace en compagnie d’Éric Vartzbed, d’Ivan Farron et d’Isaac Pante. Nous ne serions pas surpris de voir surgir Burt Lancaster en maillot bleu dur. Il s’installerait à notre table et nous confierait : « Moi non plus je n’ai pas compris le sens de ce scénario totalement tordu. Rassurez-moi : la vie ne ressemble quand même pas à cette descente aux enfers ? » Nous nous sommes regardés, interloqués. « À quoi d’autre peut-elle ressembler ? », ai-je demandé. Mais Burt Lancaster s’était déjà éclipsé.
De ton meilleur cru!
https://defensededavidhamiltonblog.wordpress.com/2021/01/02/philosophie-de-la-piscine-un-article-du-meilleur-vin-du-cru-de-roland-jaccard/
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Magnifique, votre texte !
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« Meilleur cru, Magnifique texte », ceux d’hier et d’avant hier tout autant; chez R.J. tout est magnifiquement cru sous des faux airs d’élégance, ce pourquoi il reste audible pour les filles. On ne peut pas en dire autant de Frank Perry qui a commis la double erreur en se passant de deux niveaux de lecture tout en misant sur l’archétype mâle à moitié nu alors que les filles les préfèrent en uniforme racontant des âneries chics. Bide et cancer assuré.
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