LA DÉFERLANTE ÉCOLOGISTE EST UNE CATASTROPHE POUR LA PLANÈTE

Il n’y a qu’un problème sérieux : la surpopulation. Il est systématiquement esquivé par les écologistes. Au lieu de quoi, ils nous demandent de trier nos déchets, de ne plus rouler en diesel et de circuler à bicyclette. Quelle aimable plaisanterie ! Ils devraient au contraire se réjouir que des virus déciment la planète, supprimer les allocations familiales, se réjouir quand des enfants meurent de faim et renoncer à soigner les vieux. Au lieu de cela, ils entretiennent le mythe d’une planète verte, souriante, pacifique et bienveillante à l’égard de tous. Ils n’ont sans doute jamais lu des livres pour adultes : l’infantilisation est leur horizon ultime. Le plus saugrenu est que tous les partis politiques se prétendent, eux aussi, écologistes dans une sorte de course à la crétinisation générale. L’oncle Bens en rit encore.

La nature dont les écologistes n’ont jamais admis qu’elle est notre principal ennemi, se défend fort bien. Elle produit des catastrophes naturelles, envoie des virus et quand une relaxation démographique s’impose guerres et famines se succèdent. S’il y avait deux mesures à prendre, ce serait de limiter les naissances et de favoriser le suicide des humains qui encombrent la planète sans y tirer le moindre plaisir. Vivre n’est pas une aventure glorieuse, mais vouloir sauver la planète est une aberration.

Chacun sait qu’on ne fait pas une bonne littérature avec de bons sentiments. Peut-être serait-il temps de comprendre que la pire des politiques est celle qui veut instaurer le meilleur des mondes possible. L’humanité est une vieille machine délabrée qui produit des déchets en série. Peut-être le moment est-il venu d’y mettre un terme. Ou tout au moins de comprendre qu’il faut pleurer les hommes à leur naissance et non à leur mort. Et d’en tirer une conclusion moins niaiseuse que celle des écologistes.

 

sundress-336590_960_720

 

LE CRÉPUSCULE DES CINÉMAS

Simon Edelstein, archéologue d’un genre nouveau, est parti à la recherche de ces cinémas aux façades majestueuses qui se fossilisent et se décomposent dans l’indifférence générale.

crepuscule-des-cinemas

Pour qui a découvert le septième art dans les années cinquante, pour qui a fait de la critique de cinéma dans les années soixante, c’est mon cas, pour qui le cinéma était pratiquement une religion ( au même titre que la psychanalyse ), pour qui Éric von Stroheim et Sigmund Freud étaient des dieux, pour qui a dansé avec Ginger Rogers et Fred Astaire, rêvé de Louise Brooks, séduit Nathalie Wood dans la «  Fièvre dans le sang », sans oublier les innombrables et irrésistibles nymphettes en celluloïd qui lui révélaient sa sexualité, le monde du cinéma est devenu d’une austérité et d’une prétention qui lui enlèvent toute envie de se rendre dans ces cathédrales de la volupté qu’étaient alors les salles de cinéma. On s’accommodait fort bien de la mort de Dieu et de la fin de la littérature, mais que les temples du plaisir, de tous les plaisirs, tant sur l’écran magique que dans la salle, puissent un jour disparaître pour être remplacés par des églises évangélistes, des mosquées ou des magasins de fringue, voire laissés à l’abandon, voilà ce que dans nos pires cauchemars nous n’aurions jamais envisager. Et pourtant….

Et pourtant, on a beaucoup glosé sur la mort du cinéma en tant qu’art, comme du déclin de la psychanalyse : ils apparaissent à la fin du dix-neuvième siècle et leur lente agonie date des années quatre-vingt. Inutile d’y revenir. On lit Freud comme on lit Saint-Thomas d’Aquin aujourd’hui et je défie quiconque de me citer dix grands films muets. Un cinéaste suisse, Simon Edelstein, né lui aussi en 1941, avait pressenti la catastrophe à venir. Et il a eu l’idée géniale de photographier, aussi bien aux Etats-Unis qu’en Afrique, en Inde ou en Europe ces cinémas abandonnés exhibant parfois encore les stigmates de leurs splendeurs passées. Par exemple, le Roxy à New-York, le plus grand cinéma du monde datant des années vingt qui accueillait six mille spectateurs à la fois, un nombre qui justifiait une équipe de 300 personnes. La salle avait été inaugurée en 1927 par un film avec Gloria Swanson. Et c’est elle, la star de « Sunset Boulevard » avec Éric von Stroheim qui dans les années soixante posera en robe de soie noire avec un boa rouge autour du cou pour « Life » au milieu des ruines du Roxy. Cette image qui a fait le tour monde a été un déclic pour Simon Edelstein : il a pris conscience qu’un patrimoine du vingtième siècle était en train de mourir sans que nul ne s’en soucie.

Ces cinémas, souvent d’une audace architecturale et d’une beauté explosive, photographiés par Simon Edelstein, sont devenus les conservatoires de bonheurs évanouis qui ne ressusciteront jamais, pas plus que notre jeunesse d’ailleurs. Signe des temps , de nombreux cinémas – plus de cinq cents aux États-Unis – se transforment en églises de toutes sortes. La Croix remplace alors le nom glorieux de la salle : adieu la Fox, bonjour Jésus. Il arrive que le cinéma, en France notamment, appauvri par sa fréquentation toujours plus faible, résiste en divisant ses salles pour créer des complexes à l’architecture impersonnelle. Oui, comme on le constate en feuilletant l’album d’Edelstein, la laideur architecturale a de beaux jours devant elle. Aurais-je encore du plaisir à y voir les films qu’on y projette ? J’en doute.

Simon Edelstein : « Le crépuscule des cinémas ». Ed. Jonglez.

UNE NUIT AVEC THOMAS BERNHARD

Rêvé cette nuit que j’étais au Café Central, à Vienne, en compagnie de Thomas Bernhard. Il était en verve, se gaussait de la quête de la perfection des artistes. En fin ce compte, me disait-il, et je ne pouvais que l’approuver, tout conduit à l’échec, tout finit au cimetière. Vous pouvez faire ce que vous voulez, la mort nous emporte tous et alors tout est terminé. La plupart se laissent emporter par la mort dés l’âge de dix-sept ou dix-huit ans. Les jeunes d’aujourd’hui se jettent littéralement dans les bras de la mort. À douze ou quatorze ans, ils sont déjà morts.

marcherbernhardlundioumardi
À une table voisine, un vieux monsieur d’allure très distinguée et qui suivait notre conversation, l’interrompit pour lui demander ce qu’il pensait de la lecture nihiliste de son œuvre. Visiblement irrité, Thomas Bernhard lui répondit : « Je m’en bats l’œil, ça m’est complètement égal la façon dont les gens lisent mes textes. » Le vieux monsieur insista : « Même s’ils vous appellent ensuite pour vous dire qu’ils ont envie de se suicider avec vous ? » Thomas Bernhard coupa court à la conversation assez sèchement : « Dieu merci, presque personne ne m’appelle plus. » Puis, il se tourna vers moi et me dit : « Qu’est-ce qu’ils peuvent être raseurs ces piliers de café. »

Puis dans un monologue dont je ne saisissais pas tout, il évoqua le mariage idéal : il ne peut exister que si la femme est la servante de l’homme. Évidemment, ce n’est jamais le cas. Alors autant rester célibataire. Oui, ajouta-t’il, j’ai bien aimé : « Les belles endormies » de Kawabata. Et aussi la façon dont il s’est donné la mort. C’est d’ailleurs la meilleure chose qu’un écrivain puisse faire : se donner la mort. Il me regarda fixement et grommela : « Si tu te suicidais maintenant, j’aurais le plus grand respect pour toi. »

Sur ces mots, je me réveillai encore interloqué. Et je me demandai si le respect de qui que ce soit, fût-ce de Thomas Bernhard, m’importait. La réponse fut évidemment : non. Et je ne doutais pas que c’était celle qu’il attendait de ma part.

Woody Allen et l’étudiante de Belfort

Son meilleur film, « Annie Hall » , confession d’une mélancolie poignante – celle des illusions perdues et des amours enfuies – , Woody Allen le clôt sur un mot d’esprit qui m’a beaucoup servi lorsque je me piquais de psychiatrie. C’est l’histoire d’un homme qui consulte un ponte de la médecine et lui dit : «  Docteur, mon frère est fou, il se prend pour une poule ! » « Eh bien, faites-le enfermer », lui suggère le psychiatre. Sur quoi l’homme lui répond : « Je le ferais bien, mais j’ai besoin des œufs ! »

anhedonia-12
Commentaire de Woody Allen : c’est à peu près comme ça que j’ai tendance à voir les relations entre les êtres…complètement irrationnelles, folles et absurdes…mais que nous recherchons néanmoins, parce que nous avons besoin d’œufs…

Le plus insensé, c’est cette jeune fille de Belfort qui a vendu ses bijoux de famille pour passer quelques nuits avec moi. J’ignore tout d’elle. Elle me dit être dégoûtée de l’existence, suicidaire et apprécier les Schlager des années soixante, donc correspondre parfaitement à la typologie jaccardienne. Je l’ai vivement dissuadée de me rejoindre rue Oudinot, sans doute en pure perte. Évidemment, il est toujours possible que ce soit une aimable plaisanterie concoctée par mes potes. Sa photo laisse présager le meilleur, ce qui n’est pas un bon signe.

En revanche, j’ai bien reçu ce matin : « Soit dit en passant », l’autobiographie de Woody Allen. J’y reviendrai. Et pour conclure ce mot de Woody : « Je ne crois pas à l’au-delà, mais j’emmène quand même un caleçon de rechange. »

Dans la vie, il n’y a guère que deux choix possibles : une corde pour se pendre ou suivre la voix de la raison. L’étudiante de Belfort a opté pour la raison et remis à plus tard son séjour à Paris. Cela m’a soulagé et donné le temps de me plonger dans l’autobiographie de Woody Allen. Il l’a dédiée à Soon-Yi, « la meilleure d’entre toutes », non sans ajouter malicieusement : elle me mangeait dans la main, jusqu’au jour où j’ai vu qu’il me manquait un bras. C’est sans doute le destin de tout couple qui ne prend pas la décision de se séparer dès lors que la routine s’installe, d’autant qu’en général, l’homme recherche des aventures sans lendemain, alors que la femme veut des lendemains sans aventure.

Dans le cas de Soon-Yi, l’affaire est plus complexe, Woody Allen ayant été accusé d’être un père incestueux et violeur. Difficile dans ces conditions de l’abandonner, d’autant plus que Mia Farrow le poursuivait de sa haine et qu’il était devenu la cible des féministes. Et puis, être un paria offre quelques avantages qu’il énumère avec son humour insubmersible. «  Tout d’abord, écrit-il, on ne vous demande pas sans arrêt de monter sur un podium, d’écrire des phrases élogieuses sur toutes sortes de livres, de sauver des baleines ou de faire des discours pour des remises de diplômes – sans compter qu’un type dont la connaissance de la Constitution américaine se limite à l’amendement qui a aboli la Prohibition n’est pas forcément un bon choix pour inspirer des étudiants. » Il raconte que Hillary Clinton a refusé le don qu’il voulait lui faire pour sa campagne électorale. C’est dire si elle méritait de perdre contre Donald Trump.

C’est d’ailleurs la grande chance de Woody Allen, il y revient souvent, d’avoir eu le sens de l’humour, sinon il aurait fini comme pleureuse professionnelle dans les enterrements ou monstre dans une foire. Son seul regret : n’avoir jamais réalisé un seul grand film. On le lui pardonnera d’autant plus volontiers qu’il a enchanté notre jeunesse ( en tout cas la mienne), la prolongeant jusqu’à lecture de son autobiographie qui vaut bien les quelques nuits que j’aurais passés avec une étudiante de Belfort qui ignore sans doute jusqu’à son existence. Woody Allen dit qu’il aurait volontiers échangé son talent contre celui de Fred Astaire. Je le rassure : il a été notre Fred Astaire.

LE BILLET DU VAURIEN – LES CONFESSIONS D’HENRI GUILLEMIN

Peu de professeurs auront laissé une empreinte aussi forte sur ce qui me tenait lieu d’intelligence qu’Henri Guillemin. Ses cours à l’Abbaye Royale de Saint-Maurice étaient époustouflants : il délayait son cœur dans chacune de ses analyses d’écrivains que tantôt il adulait, comme Victor Hugo, Bernanos ou Claudel dont il était très proche ou qu’il flinguait avec une liberté de ton qui nous ravissait et nous surprenait tout à la fois. Gide ? « Une boursouflure ». Malraux ? « Un cabotin ». Benjamin Constant ? « Un arriviste ». Alfred de Vigny ? « Un indicateur de police ». Il y avait du commissaire Maigret en lui, un goût pour la filature et un refus de croire à l’histoire officielle : autant croire des criminels sur parole, nous enseignait-il.

Par la suite, je l’ai retrouvé à la télévision suisse et, en dépit de son catholicisme de gauche, je succombais à son charme. Sa voix surtout que j’essayais en vain d’imiter et son art de la mise en scène qui parfois nous arrachait des larmes. J’ai vu au Buffet de la Gare de Lausanne, lors d’une réunion du Parti socialiste, des militants en larmes quand il évoquait la mort de Jaurès. C’était un immense érudit et un très grand orateur : il avait, nous confiait – il , beaucoup appris de Maurice Chevalier. Mais c’était surtout un homme d’une générosité exceptionnelle, fidèle à ses convictions et rebelle à toute forme de conformisme. Quand son ami François Mauriac lui avait suggéré de se présenter à l’Académie française, il lui avait répondu : « Il y a des vérités qu’on ne peut plus dire en costume de carnaval. »


Les Archives de la TSR ont eu l’excellente idée de mettre en ligne ses conférences, notamment sur YouTube, où près de
trente ans après sa mort en 1992, elles cartonnent encore. Célèbre en Suisse où il s’était retiré, il était en revanche interdit de télévision en France sous Pompidou et Giscard qui le jugeaient trop iconoclaste. Peu lui importait, il préférait vivre à Neuchâtel, là où sont déposées les archives de la correspondance de Jean-Jacques Rousseau, son auteur de prédilection. Neuchâtel où il s’était réfugié en 1942 après avoir été dénoncé comme gaulliste par « Je suis partout ». Après la guerre, il occupera longtemps le poste de conseiller culturel à l’ambassade de France à Berne. Humaniste dans le meilleur sens du terme, il était évidemment à l’opposé des structuralistes et se réclamer de lui dans les années soixante-dix était pratiquement une forme d’hérésie. Il était vomi par les intellectuels qui tenaient alors le haut du pavé. Je suis resté fidèle à Henri Guillemin et même si je ne partageais pas son catholicisme et si son idéalisme me laissait perplexe, j’avais la même passion que lui ( il me l’a transmise ) : chercher à trouver ce qui se cache sous les mensonges accumulés. Et surtout essayer de ne pas se tromper sur le sens de ce mot : aimer.

Et c’est là que j’en viens à une confession d’Henri Guillemin qui figure dans ses conversations avec Jean Lacouture . En 1927, il est à l’École Normale Supérieure, rue d’Ulm, avec pour condisciples Jean-Paul Sartre et NIzan. C’est là qu’il a été déniaisé par une Bretonne qui se faisait passer pour la fille d’un amiral, ce qui l’avait ébloui. François Mauriac à qui il l’avait présentée lui avait fait pour unique commentaire : « Vous avez bien mal choisi. » La liaison s’est néanmoins longtemps poursuivie jusqu’à ce qu’il apprenne qu’il n’était pas le seul à partager ses faveurs : c’était une cocotte entretenue par de vieux messieurs et qui se divertissait avec de jeunes normaliens. Ça m’a tout de même « dépris », ajoute Guillemin qui épousera par la suite Jacqueline, une jeune et fraîche catholique, par l’entremise de son maître spirituel, Marc Sangnier.

On apprend aussi dans ces confidences à Jean Lacouture que le jeune Sartre ne s’intéressait absolument pas à la politique et qu’il était un « coureur de jupons » goûtant particulièrement les blagues grivoises, cependant que Nizan se passionnait pour le fascisme au point d’adhérer au groupe Valois, un groupuscule dissident de l’Action française, avant de faire volte-face et de devenir communiste. Quiconque s’intéresse à l’histoire littéraire en France au vingtième siècle se doit de lire ces conversations avec Jean Lacouture que j’ai retrouvées récemment dans ma bibliothèque. C’est un document précieux. Il était paru aux éditions Arléa sous le titre un peu niais : « Une certaine espérance. »