Chacun dans ses rêves est un Shakespeare, disait Schopenhauer.
J’ai rêvé cette nuit de passionnantes disputes philosophiques entre Malebranche et mon ami Marcel Conche. Il ne m’en restait que des bribes à mon réveil. J’avais atteint un sommet. Pour aussitôt replonger dans la médiocrité.
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Un rêve de Cioran : il supprime un à un tous les mots de son vocabulaire. Après ce massacre, il ne reste plus qu’un rescapé : SOLITUDE. Il se réveille comblé. Ce n’est pas un rêve, c’est ce que je vis. Et, franchement, je suis tout sauf comblé. Parfois, une jeune fille me rejoint sous la couette. Une accalmie. Jamais pour bien longtemps. Peut-être eût-il mieux valu qu’elle ne vînt jamais.
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La première question à se poser face à une femme : est-elle mythomane ou nymphomane. La réponse ne tarde jamais : les deux. J’ai toujours eu un faible pour les solitaires et plus encore pour les suicidaires. Elles au moins ont banni le mensonge et compris que leur vocation n’est pas d’être une esclave au service de l’espèce.
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Il n’y a qu’une recette pour protéger sa solitude : savoir se rendre odieux. Je crois n’avoir pas démérité en la matière.
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Cioran raconte – peut-être l’ai-je rêvé – qu’un moine d’Égypte, après quinze ans de solitude complète, reçut de ses parents et de ses amis tout un paquet de lettres. Il ne les ouvrit pas, il les jeta au feu pour échapper à l’agression des souvenirs. Il convient de s’évader de sa propre histoire. Celui qui n’a brisé aucun lien est un esclave qui mérite d’être traité comme tel.
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Idéalement, il conviendrait de blesser tout le monde. À commencer par ceux que l’on aime. C’est relativement facile : il suffit d’être franc avec eux. Ainsi, on sauvegarde sa solitude, on fait enfin le Vide. Le gouffre est là qui nous attend. Je me demande encore pourquoi je recule….il faudra que je pose la question à Malebranche ou à Marcel Conche qui arrive allègrement à cent ans.

Solitude. Emile Bernard. Zincograph with hand-coloring – Indianapolis Museum of Art
Rêves et solitude ? Oui, Dr. Loneliness, j’aime bien les rêves où l’on fait ses bagages, je les appelle Rêves de Temps, puisque le fait de faire ses bagages et les voyages ont toujours un rapport avec le temps. Pas assez de temps et trop de choses à emballer…
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Certes dans l’idéal comme le moine d’Egypte il faudrait tendre à ne s’attacher à rien ni personne et encore moins à soi (Bouddha: « Quand on renonce à tout, on finit par tout posséder »)
En attendant on fomente des projets, des voyages en vain pour se fuir (John Lennon: » La vie c’est ce qui s’écoule pendant que tu fais des projets »)
Alors que l’idéal serait de vivre comme une vache (animal sacré des Hindous) qui connait l’extase en regardant passer les trains à la manière de celle que n’apprendrait rien la métaphysique de Marcel Conche.
A défaut d’extase on peut se laisser aller à la tentation de R.J. d’être franc pour faire le vide autour se soi (Montherlant: » Je dis les choses comme elles sont, aussi dit-on que j’ai l’esprit profondément corrompu ») et connaître ainsi les frissons de la grande solitude ou tout du moins se rapprocher du gouffre sans y tomber histoire de prendre le temps de contempler le vide de près avant de prendre congé vraiment car on ne doit pas tenir bien longtemps suspendu dans le vide avant de chuter. On comprend les réticences de R.J.
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