UNE HISTOIRE QUI AURAIT ENCHANTÉ THOMAS BERNHARD

En lisant une encyclopédie de la médecine, je tombe sur une histoire qui aurait ravi Thomas Bernhard tant elle est férocement absurde et en dit long sur la vanité des humains, y compris et peut-être surtout dans le monde «  scientifique », comme on le découvre chaque soir sur les chaînes d’information à propos du Covid 19.

Jusqu’au milieu du dix-neuvième siècle, les médecins cherchaient comment apaiser, voire supprimer la douleur. L’avènement de l’anesthésie a été raconté à maintes reprises, mais vaut d’être rappelé. Deux dentistes, Horace Wells et William Morton, mais aussi un scientifique, Charles Dickson, se disputèrent la gloire d’avoir « vaincu la douleur ». Employant une rhétorique guerrière, tous trois se lancèrent dans une polémique violente et confuse, mais facile à résumer : Wells eut l’idée d’appliquer à la chirurgie dentaire les effets narcotiques du protoxyde d’azote, mais il ne sut pas l’appliquer : en 1845, il en fit une démonstration publique qui, pour son malheur, provoqua les hurlements de son patient. Son collaborateur, William Morton, après plusieurs essais infructueux, notamment sur son chien, parvint à des résultats plus probants, mais ne sut pas à les mettre en valeur. Jackson, enfin, qui n’eut ni l’idée, ni la possibilité de l’expérimenter, déposa néanmoins le brevet du produit, prétendant être le véritable et unique découvreur de l’anesthésie, nom qui ne fut inventé par aucun d’eux.

Et c’est là que l’histoire prend sa dimension bernhardienne. Les disputes relatives à la paternité de cette découverte conduisirent Horace Wells tout d’abord à l’alcoolisme, puis en prison pour avoir arrosé sans raison apparente un groupe de femmes qui se promenaient à Brooklin et enfin au suicide puisque dans sa cellule il se sectionna l’artère fémorale. William Morton, son assistant, succomba à un infarctus en apprenant la nouvelle. Quant à Jackson, il finit ses jours dans un hôpital psychiatrique.

Inutile de préciser que les détracteurs de l’anesthésie ne manquèrent pas, y compris dans les plus prestigieuses revues scientifiques. Nombreux furent les chirurgiens à soutenir que le protoxyde d’azote ne présentait aucun avantage par rapport à une intoxication éthylique. D’autres défendirent l’idée que la douleur, non seulement guidait le bistouri, mais favorisait la récupération des patients. Les plus nombreux – et on se gardera d’établir un lien avec les réactions de la plupart des médecins aujourd’hui au traitement du Professeur Raoult – soutinrent que l’anesthésie pouvait être dangereuse et les décès imputables à son usage suffirent à ajouter des problèmes pratiques aux débats idéologiques. Il fallut attendre que la reine Victoria elle-même accepte d’être traitée au chloroforme pour accoucher de son quatrième fils, le 7 avril 1853, pour que l’anesthésie s’impose un peu partout et que les médecins cessent de considérer la douleur comme une chose banale, voire comme un châtiment infligé par Dieu après la Chute. Et qui sait d’accepter l’idée que rétablir la santé quand c’est possible est tout à leur honneur , mais que d’aider le malade à mourir quand il est incurable est un geste d’humanité qu’on ne saurait lui refuser….

 

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2 réflexions sur “UNE HISTOIRE QUI AURAIT ENCHANTÉ THOMAS BERNHARD

  1. Les vétérinaires, praticiens aguerris dans l’ombre de l’euthanasie animale ont plus d’humanité que les médecins soucieux de leur image jugeant comme une défaite personnelle qu’ils n’avoueront jamais leur incapacité à soulager la douleur de leur patient ingrat qu’ils laissent en vie parfois à demi-mort, chose inconcevable avec un chien devenu aujourd’hui l’incarnation à lui tout seul du « Nouvel Amour » Rimbaldien qui ne s’achète pas depuis que les femmes sont « devenues méchantes » comme le chante Gérard Manset.

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  2. L’éternelle bataille d’ego sur les chaînes de « désinformation »… Je dors comme un bébé car je ne les regarde pas. Juste quelques lignes sur internet le matin pour voir jusqu’où ira cette tragi-comédie.
    Alfred, LES femmes n’existent pas. UNE femme, UN homme, c’est une toute autre histoire !
    Mais un merci sincère pour la référence au chien, soyez sûr que cela me touche infiniment (même si je n’écoute pas Gérard Manset.)

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