NOSTALGIE LAUSANNOISE

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À quinze ans, j’ai réussi un exploit : publier dans «  La Gazette de Lausanne » un article sur le bouddhisme. J’aurais pu mourir ensuite. Mais je voulais épater les filles à la piscine Montchoisi. Et, tout en considérant que la vie n’est pas une solution, j’avais compris que la mort n’en est pas une non plus….et d’ailleurs qu’il n’y a pas de solution. J’ai donc persévéré dans la même voie.

Cet exploit, je le dois à François Gross qui était alors un jeune secrétaire de rédaction : il m’avait encouragé, tout en corrigeant mes maladresses. Je précise qu’il n’était pas pédophile et que les rédacteurs de « La Gazette de Lausanne » m’en imposaient par leur professionnalisme et leur talent. J’ai retrouvé la même ambiance feutrée et incorruptible dix ans plus tard au «  Monde ». Est-il bien nécessaire de préciser que le déclin de la presse, comme celui de l’édition, a été un interminable chemin de croix au terme duquel la plupart des journaux n’ont pas survécu ou alors dans un état si misérable que la décence nous invite à un silence navré ? Le naufrage de la piscine Deligny nous confirma dans la certitude que l’heure de fermeture avait sonné dans les jardins de l’Occident.

Mais revenons à Lausanne dans les années cinquante. La presse y a connu un âge d’or. Jules Humbert-Droz, l’œil de Moscou, officiait dans «  Le Peuple ». « La Nouvelle Revue de Lausanne » qui n’était pas une revue, mais le quotidien du Parti radical vaudois, avait réuni une impressionnante brochette de talents : le poète Crisinel, Philippe Jacottet, Freddy Buache ( je lui dois tant, merci Freddy… ) et Samuel Chevallier qui était un ami de mon père. Je croisais à l’avenue Tissot où nous vivions, le chroniqueur judiciaire André Marcel. Il avait une pipe et une compagne qui avait résolu de ne jamais vieillir. Je me disais que moi aussi j’empêcherais les nymphettes de se métamorphoser en matrones. Quant à Samuel Chevallier, le Sacha Guitry vaudois, le créateur du «  Quart d’heure vaudois » à la radio, il fixait à chacun de ses mariages une durée limitée. Cinq ans au maximum. Il était en avance sur l’ami Beigbeder. Il disait aussi que ce qu’il préférait chez une femme, c’était son squelette. J’ai retenu la leçon.

« La Gazette de Lausanne » jouissait d’un prestige international et son supplément littéraire, dirigé par Frank Jotterand, ne le cédait en rien à « Arts, Lettres et Spectacles », aux « Lettres françaises » ou aux « Nouvelles Littéraires ». On ne pouvait rêver meilleure invitation à la littérature, au cinéma ou au théâtre qui était une des passions de Frank Jotterand. Et, pour l’adolescent que j’étais, rien ne comptait vraiment pour moi en dehors de la piscine et de la presse. J’exagère un peu : il y avait aussi les filles, surtout les étrangères, et il m’arrivait de leur offrir un abonnement à «  La Gazette de Lausanne » à la fin de l’été, persuadé qu’elles ne m’oublieraient jamais si elles me lisaient. Ma présomption était sans limite…et j’ai bien peur qu’elle ne le soit restée.

Quant à mon père, sans me dire jamais un mot sur la valeur de ce que j’écrivais, j’apprenais par ma mère qu’il achetait une vingtaine d’exemplaires de «  La Gazette de Lausanne » quand ma signature y figurait et qu’il les glissait subrepticement dans la boîte à lettres de ses amis. Nous nous parlions d’autant moins qu’il mettait un point d’honneur à être plus snob encore qu’un Anglais. Il pensait que c’était là l’idéal auquel devaient tendre tous les Lausannois. Quant à moi, au seuil de la vieillesse, je m’interroge après cet exercice de nostalgie : « Mes considérations pessimistes sur le présent ne sont-elles pas l’éternelle tentation d’un écrivain épris d’un passé avec lequel il tend à s’identifier ? »

UNE HISTOIRE QUI AURAIT ENCHANTÉ THOMAS BERNHARD

En lisant une encyclopédie de la médecine, je tombe sur une histoire qui aurait ravi Thomas Bernhard tant elle est férocement absurde et en dit long sur la vanité des humains, y compris et peut-être surtout dans le monde «  scientifique », comme on le découvre chaque soir sur les chaînes d’information à propos du Covid 19.

Jusqu’au milieu du dix-neuvième siècle, les médecins cherchaient comment apaiser, voire supprimer la douleur. L’avènement de l’anesthésie a été raconté à maintes reprises, mais vaut d’être rappelé. Deux dentistes, Horace Wells et William Morton, mais aussi un scientifique, Charles Dickson, se disputèrent la gloire d’avoir « vaincu la douleur ». Employant une rhétorique guerrière, tous trois se lancèrent dans une polémique violente et confuse, mais facile à résumer : Wells eut l’idée d’appliquer à la chirurgie dentaire les effets narcotiques du protoxyde d’azote, mais il ne sut pas l’appliquer : en 1845, il en fit une démonstration publique qui, pour son malheur, provoqua les hurlements de son patient. Son collaborateur, William Morton, après plusieurs essais infructueux, notamment sur son chien, parvint à des résultats plus probants, mais ne sut pas à les mettre en valeur. Jackson, enfin, qui n’eut ni l’idée, ni la possibilité de l’expérimenter, déposa néanmoins le brevet du produit, prétendant être le véritable et unique découvreur de l’anesthésie, nom qui ne fut inventé par aucun d’eux.

Et c’est là que l’histoire prend sa dimension bernhardienne. Les disputes relatives à la paternité de cette découverte conduisirent Horace Wells tout d’abord à l’alcoolisme, puis en prison pour avoir arrosé sans raison apparente un groupe de femmes qui se promenaient à Brooklin et enfin au suicide puisque dans sa cellule il se sectionna l’artère fémorale. William Morton, son assistant, succomba à un infarctus en apprenant la nouvelle. Quant à Jackson, il finit ses jours dans un hôpital psychiatrique.

Inutile de préciser que les détracteurs de l’anesthésie ne manquèrent pas, y compris dans les plus prestigieuses revues scientifiques. Nombreux furent les chirurgiens à soutenir que le protoxyde d’azote ne présentait aucun avantage par rapport à une intoxication éthylique. D’autres défendirent l’idée que la douleur, non seulement guidait le bistouri, mais favorisait la récupération des patients. Les plus nombreux – et on se gardera d’établir un lien avec les réactions de la plupart des médecins aujourd’hui au traitement du Professeur Raoult – soutinrent que l’anesthésie pouvait être dangereuse et les décès imputables à son usage suffirent à ajouter des problèmes pratiques aux débats idéologiques. Il fallut attendre que la reine Victoria elle-même accepte d’être traitée au chloroforme pour accoucher de son quatrième fils, le 7 avril 1853, pour que l’anesthésie s’impose un peu partout et que les médecins cessent de considérer la douleur comme une chose banale, voire comme un châtiment infligé par Dieu après la Chute. Et qui sait d’accepter l’idée que rétablir la santé quand c’est possible est tout à leur honneur , mais que d’aider le malade à mourir quand il est incurable est un geste d’humanité qu’on ne saurait lui refuser….

 

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QUAND LOUISE BROOKS RENCONTRE PABST À LA GARE DE BERLIN…

Ce 14 octobre 1928, j’aurais aimé être dans la foule qui se pressait à la gare de Berlin – il y a même une fanfare -pour accueillir la jeune actrice américaine. Pendant des mois, Georg Wilhelm Pabst a cherché frénétiquement dans les studios, dans les bars, dans la rue celle qui pourrait être Lulu, c’est-à-dire la femme dans toute sa perversité, une créature par-delà le bien et le mal. Il a même songé à Marlène Dietrich – trop âgée, trop transparente à son goût – avant de remarquer Louise Brooks dans « Une fille dans chaque port » de Howard Hawks. Il a aussitôt décelé en elle cette naïveté enfantine dans le vice qui irradiera d’un charme vénéneux son film.

À quoi songe Louise Brooks au milieu de la foule berlinoise ? Elle a fui Hollywood, comme elle avait fui son Kansas natal à quinze ans et comme elle fuira toute sa vie la gloire, le bonheur ou l’amour. Pour seuls viatiques, elle a la lecture de Schopenhauer et sa jeunesse. Sa jeunesse, elle la consumera dans la débauche. Pabst lui ayant dit un jour qu’elle était née putain, elle lui rétorquera qu’il a peut-être raison, mais qu’alors elle est une putain minable qui n’a jamais rien possédé : ni hôtel particulier, ni argent, ni colifichets. Seul le roman de la déchéance l’attire. Voilà qui tombe bien : « Lulu » est l’histoire d’une déchéance, tout comme le « Journal d’une fille perdue », autre chef-d’œuvre qu’elle tournera avec Pabst.

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Ce 14 octobre 1928, à la gare de Berlin, Pabst observe Louise Brooks. Deux ans auparavant, il a scruté avec les plus grands psychanalystes «. Les Mystères d’une âme ». Il en sait long sur l’inconscient et il ne lui faut pas longtemps pour comprendre la nature de cette étrange attirance qui a existé entre Louise et lui avant même cette rencontre. La fascination sera réciproque et Pabst la portera à son paroxysme dans « Lulu ».

« Assassin, espoir des femmes », disait le peintre expressionniste Oscar Kokoschka. Pour Brooksie la stérile, pour Brooksie la schopenhauerienne, il n’est de volupté que dans le regard de Jack l’Éventreur. L’acte d’amour est un acte de mort. Tout le reste n’est que mensonge, hypocrisie, illusion et niaiserie. Commentant les dernières images du film, Louise dira : « C’est la veille de Noël et elle est sur le point de recevoir le cadeau dont elle a toujours rêvé depuis son enfance : mourir de la main d’un maniaque sexuel. »

Pabst dévisage Louise Brooks, ce 14 octobre 1928, à la gare de Berlin. Il est connu pour posséder la plus belle collection de photos obscènes du monde. Il sait maintenant que Louise, petit insecte venimeux, figurera bientôt dans cette collection. Peut-être même, pense-t-il, ne se souviendra-t-on de lui, un jour lointain, un jour où même le cinéma ne sera plus le cinéma, que parce qu’il a capturé dans ses filets cette ultime réincarnation de Lilith. Il se demande s’il aura la force d’être jusqu’au bout un génie du mal, digne de sa partenaire. Peu importe ensuite qu’ils couchent ensemble ou non, que le film soit un échec ou un triomphe, qu’on l’attribue à Pabst ou à Brooks. Peu importe qu’il collabore avec les nazis et qu’elle se prostitue à New York. C’est le prix à payer pour cette apothéose.

« Auriez-vous l’obligeance de m’indiquer le chemin de l’enfer ? » était l’une des phrases favorites de Brooksie. Ce 14 octobre 1928, à la gare de Berlin, dès qu’elle vit Pabst, elle sut qu’elle avait trouvé son Charon.

ARTHUR SCHNITZLER ET MADEMOISELLE ELSE

Je me trouvais à Vienne à l’occasion de la première du beau film de Paul Czinner : « Mademoiselle Else », interprété par la jeune actrice Élisabeth Bergner. À cette occasion, Arthur Schnitzler qui participait à l’adaptation de tous les scénarios tirés de ses romans, m’avait invité chez lui. Il ne sortait plus guère et à Vienne même où sa barbe blanche comme son feutre mou à larges bords ne passaient jamais inaperçus, il était devenu le symbole d’une époque fastueuse dont, après la chute de l’empire austro-hongrois, les Autrichiens rêvaient comme d’un âge d’or. Assis dans la véranda, nous contemplions le jardin en pleine floraison.
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  • Là où la nature se répète, dit alors Arthur Schnitzler, nous reconnaissons son infinie variété. Mais quand un écrivain se répète, nous considérons qu’il a fait son temps. Ce jugement est dénué de tout fondement. Telle la nature, l’écrivain recherche lui aussi la perfection en s’essayant aux mêmes sujets….
Pendant qu’il parlait, je l’observais. Bien qu’ayant largement dépassé le seuil de la soixantaine, ni son teint de bronze, ni ses yeux si vifs – des yeux qui ont sondé mieux qu’aucun autre le cœur des femmes – ne trahissaient son âge. Comme s’il devinait le cours de ma pensée, il murmura : « Vous l’ignorez sans doute, mais depuis le suicide de ma fille, Lili, l’an passé, ma vie a pris fin. Cette nuit encore, j’ai rêvé que j’étais chez Freud dans l’espoir un peu vain d’alléger la douleur causée par sa perte. Et Freud m’a dit que lui aussi a perdu sa fille, Sophie. Lili n’avait que dix-huit ans, comme Mademoiselle Else, et elle venait d’épouser un officier italien à Venise. Ses derniers mots furent : « Je ne voulais pas mourir, c’est un instant d’énervement. » Presque les mêmes mots qu’Else. Et d’ailleurs à Vienne on n’a pas manqué d’établir un parallèle entre le destin de ma fille et celui de mon héroïne, comme si la réalité avait été absorbée par la fiction, comme si Lili avait été envoûtée par Else. J’ai même reçu des lettres anonymes où l’on me disait qu’avec l’éducation malsaine qu’elle avait reçue, elle ne pouvait pas finir autrement. »
Je voulus savoir ce qu’il pensait du banquier Dorsday et du chantage à sa nudité qu’il avait contraint Else à accepter. « Je me garderai bien de le juger, me répondait-il. Vous l’apprendrez sans doute vous aussi un jour à vos dépens, mais pour un homme sur le déclin, voir un corps dévêtu d’adolescente, c’est boire à la coupe suprême de Dieu. Je comprends qu’on soit prêt à toutes les bassesses, comme Dorsday, ou à toutes les turpitudes, comme mon Casanova, pour connaître cette ultime forme d’extase. Si le temps ne m’était pas compté, j’aimerais écrire un roman où des vieillards passeraient la nuit auprès de belles endormies. Vous l’ignorez encore, mais la vieillesse est la pire des disgrâces….»
Puis il revint sur l’idée qu’il serait parfaitement illusoire et vain d’exiger de nous-même une moralité à laquelle nous ne pouvons qu’exceptionnellement prétendre : « Tant de choses trouvent à la fois place en nous, poursuivit-il, amour et tromperie, fidélité et infidélité, adoration pour une femme et désir d’une autre ou de plusieurs autres. Nous essayons bien de mettre un peu d’ordre en nous, mais cet ordre reste quelque chose d’artificiel…Le naturel, c’est le chaos. J’ai eu pour ma part des rapports très variés avec mes maîtresses : la plupart m’étaient indifférentes, quelques-unes me furent franchement antipathiques. Je n’en ai haï qu’une, celle qui fut la grande passion de ma vie. »
Il doutait qu’une amitié – et à plus forte raison un amour – fût possible entre un homme âgé et un être jeune encore. Comme je tentais de le convaincre du contraire, il me rétorqua : « Il y a là une différence insurmontable. Un roi et un anarchiste, si tous deux sont jeunes, une cocotte et une femme convenable, si toutes deux sont jeunes et encore mieux si elles sont vieilles, un étudiant antisémite et un sioniste…soit. Mais un qui prend la mer et l’autre qui rentre au port, jamais ! »
Le temps avait passé comme par enchantement. Je me risquai avant de prendre congé à lui poser une dernière question :
  • Que feriez-vous si vous étiez Dieu ?
  • Je n’en sais rien, me répondît-il avec un sourire malicieux, mais je crois que j’essaierais de faire mieux.

LE PROFESSEUR RAOULT A COMPRIS PAUL FEYERABEND

Deux mots d’abord, et peut-être un peu plus, pour préciser qui est Paul Feyerabend. Né à Vienne en 1924 et décédé en 1994 dans le canton de Vaud en Suisse, il est considéré, à l’instar de Karl Popper dont il fut l’élève et de Ludwig Wittgenstein, comme l’un des plus grands philosophes des sciences du vingtième siècle. Son livre « Contre la méthode, esquisse d’une théorie anarchiste de la connaissance » ( 1975 ) est un classique, de même que : « Adieu La Raison » ou « La tyrannie de la science ». Il enseigna à Berkeley et prit la nationalité américaine, avant de se retirer en Suisse. Quand je travaillais au « Monde » , c’est Emmanuel Todd qui me l’avait fait découvrir. Cela tombait d’autant mieux que je m’étais déjà passionné pour le livre de Thomas Kuhn : « La structure des révolutions scientifiques » paru en 1962, époque où j’étais encore très sérieux.
Les liens entre Thomas Kuhn et Paul Feyerabend sont évidents : pour eux, la science n’est scientifique qu’en apparence, enfermée qu’elle est dans son jargon et son logicisme, sans omettre les luttes de pouvoir qui s’exercent pour la contrôler et la manipuler. Dans ce qu’elle a de plus fécond, elle relève plus de l’art que d’une méthode prétendument expérimentale. Pour Feyerabend, le seul principe qui vaut est «  Tout est bon ». Telle serait la devise de l’anarchisme épistémologique. Ajoutons qu’à ses yeux il n’y a pas d’idée si ancienne et absurde soit-elle, qui ne soit capable de faire progresser nos connaissances.

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Et, sur ce plan, vous pressentez la proximité qu’il y a entre le Professeur Raoult et Paul Feyerabend. Nous sommes en présence de deux dadaïstes de l’épistémologie, ce dont il faut se féliciter, car ils ne sont pas si nombreux nos « experts » et nos éminents professeurs de médecine à avoir lu Paul Feyerabend, à supposer qu’ils aient même jamais entendu parler de lui. Ce qui n’est pas le cas du Professeur Raoult qui a reconnu combien Paul Feyerabend a été et reste une référence inspirante dans ses recherches. On peut supposer et même espérer que le Président Macron qui se pique de philosophie l’a étudié, ce qui expliquerait son intérêt passionné pour la démarche du Professeur Raoult. Ce que ce dernier a également retenu de Feyerabend, c’est la nécessité d’instaurer un débat public pour faire avancer ses idées plutôt que de rester prisonnier de méthodologies qui servent plus à bâillonner les connaissances qu’à les faire progresser. Il n’est pas si fréquent qu’un médecin et scientifique de carrure internationale, français de surcroît, se réfère à un philosophe qui occupe une place de premier plan dans l’histoire des idées. On souhaiterait que cela soit plus répandu et que ceux qui traitent le Professeur Raoult de guignol ou de gourou la ramènent un peu moins et, qui sait, élèvent le débat au niveau où Feyerabend et Thomas Kuhn avant lui, sans omettre Popper et Wittgenstein, ont révolutionné l’épistémologie des sciences.

QUAND LA PESTE DÉCIMAIT LA POPULATION DE BAGDAD…

Une fable pour notre temps !

Faut-il rappeler l’histoire de cet homme qui se rend à Bagdad et qui, sur son chemin, rencontre la Peste ? Il lui demande où elle va. Elle répond : « Comme toi, à Bagdad. » Il veut savoir combien de morts elle compte laisser après son passage. Elle lui répond : « Dix mille. »

Arrivé à Bagdad, notre homme trouve une ville décimée par la Peste. Troublé, il lui dit : « Mais tu m’as menti. Tu m’avais parlé de dix mille morts…et j’en compte au moins cent mille. »

« Oui, lui répond la Peste, tu as raison. Mais je ne t’ai pas menti. J’en ai tué dix mille…et les autres sont morts de peur, qu’y puis-je ? »

Quiconque établirait un lien avec le Covid 19 sera immédiatement poursuivi et banni de la Cité.

PS. S’il y a bien un film à revoir aujourd’hui, c’est « Knock » avec l’incomparable Louis Jouvet dans le rôle d’un médecin qui inculque à tous ses patients bien portants qu’ils sont des malades qui s’ignorent…hilarant !
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DE L’UTILITÉ DU TAOÏSME

Même ceux qui n’ont aucune culture philosophique, qui n’ont jamais entendu parler d’Arthur Schopenhauer ( qui est au pessimisme ce que Marx fut au communisme ), connaissent cette citation célèbre de l’oncle Arthur : « La vie oscille comme un pendule, de droite à gauche, de la souffrance à l’ennui. »

Cette oscillation est pratiquement une loi de l’existence. Aucun domaine ne lui échappe. Ainsi, après avoir louangé l’universalisme, nous revenons au provincialisme ( même Macron a fini par s’en rendre compte ). Après avoir béni l’individualisme, nous applaudissons le retour du collectivisme. Après avoir fait de la jouissance un impératif, on revient, penaud ,au puritanisme. Même Dieu dont la mort nous avait soulagés, retrouve des armées prêtes à en découdre pour nous L’imposer. Bref, l’Histoire n’est qu’un Éternel Retour et l’idée de Progrès une chimère.

Ne m’accusez pas trop vite d’aligner des platitudes, car je voulais en venir à un lointain ancêtre d’Arthur Schopenhauer, à savoir Lao-Tseu ( 570- 490 avant J.-C ) qui a le double mérite, à mes yeux, d’écrire bref et sous une forme poétique, en torpillant tout jugement de valeur. Ce pourquoi les jésuites assimilèrent le « Tao-tö king » à un traité de sorcellerie. Comprendre que la distinction du Bien et du Mal est une maladie de l’esprit, tout Bien entraînant un Mal et tout Mal un Bien, est difficile à accepter pour un esprit occidental. Et pourtant, comme le notait Michel Leiris, les sentences sibyllines, apparemment simples, mais douées d’étranges prolongements, sont chargées d’une vérité trop ancienne et trop élémentaire pour n’être pas incontestable.

Prenons un exemple qui aurait ravi Schopenhauer :
« Tout le monde tient le beau pour le beau,
c’est en cela que réside sa laideur.
Tout le monde tient le bien pour le bien,
c’est en cela que réside son mal. »

Une fois qu’on a compris cela, mieux vaut adopter la tactique du non-agir et pour le sage pratiquer l’enseignement sans parole, car «  toutes choses du monde surgissent sans qu’il en soit l’auteur.»

Lao-Tseu ne se faisait aucune illusion sur la portée de ses préceptes. Non sans humour, il arrivait à la conclusion que ses sentences sont certes très faciles à comprendre et à pratiquer, mais ajoutait-il, « nul ne peut les comprendre, ni les pratiquer. » Abandonnons donc les hommes à leur folie, surtout en cette période de psychose collective. Mais qui sait ? Certains trouveront peut-être dans la lecture du « Tao-tö king » et de Schopenhauer un soulagement au mal de vivre et un remède à leurs délires, notamment à celui répété ad nauseam , à savoir que plus rien ne sera comme avant après cette pandémie.

JE N’AI FOI QU’EN L’ABSURDITÉ…

Richard Brautigan, mais oui le beatnik oublié, recalé, suicidé, répétait volontiers : « In ABSURDITY we trust ». À quoi d’autre pourrions-nous croire ? Entre deux rasades de whisky (japonais bien sûr), il me demandait si je me souviendrais un jour que nous n’étions que souffrance attendant de hurler ? Ou un trou attendant d’être creusé ? Ou encore une larme attendant de tomber ?
Il voulait savoir si après son suicide, je rendrais une visite aux oiseaux mangeant du pain sur sa tombe…

Il me disait que tout écrivain laisse deux œuvres : l’une est la somme de ses écrits, l’autre est l’image qu’on se fait de lui. Il voulait savoir quelle image je me faisais de lui. Celle d’un amoureux du Japon, comme moi ? D’un joueur de tennis de table ? Celle d’un poète qui adressait à chaque fille qu’il aimait un poème qu’elle oublierait aussitôt ? Lui-même ne se souvenait plus de rien, sauf de la pêche à la truite, un livre qui lui avait rapporté des milliers de dollars et où il était question de tout, sauf de la pêche à la truite.

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Quand on lui demandait quel était son nom, il répondait : « Peut-être qu’il pleuvait fort », c’est cela mon nom. Il aimait beaucoup les armes à feu. Elles lui ont permis d’échapper à l’absurdité du monde. C’était au début de l’automne 1984. Des oiseaux mangent encore du pain sur sa tombe. Quinze jours auparavant, il avait revu Akiko par hasard à San Francisco. Quand une Japonaise vous quitte, c’est un monde qui s’écroule, lui avait-il écrit. Elle ne lui a jamais répondu. Elle n’a jamais reçu sa lettre. D’ailleurs, il avait renoncé à la lui envoyer. Depuis, elle nourrit les oiseaux sur sa tombe chaque semaine. Quand on lui demandait qui elle était, elle répondait « Une tentative de communication », c’est cela mon nom. Tentative absurde et avortée, mais y en a-t-il d’autres ?

UN REMÈDE PIRE QUE LE MAL

Non, je n’applaudis pas le personnel de santé à 20 heures. Ils font leur boulot et c’est tout à leur honneur. Mais quand j’entends des professeurs de médecine à la télévision – j’espère qu’ils ont un peu plus respect pour leurs patients que pour la langue française qu’ils massacrent allègrement – j’avoue ne pas comprendre la psychose collective à laquelle j’assiste.

Sans le confinement souvent dévastateur tant pour l’économie que pour les individus ( j’omets volontairement les couples ), l’Europe compterait au pire quatre millions de morts provoqués par Miss Corona. Près de quatre-vingt pour cents des décès concerneraient des sujets ayant dépassé la soixantaine et, de surcroît, obèses. La plupart seraient déjà en fin de vie. Ce n’est réjouissant pour personne. Mais est-ce une raison pour paniquer des populations et les soumettre à des contrôles qui dépassent l’entendement ? Avec un résultat in fine peut-être réjouissant – cent mille morts pour l’Europe – mais une pandémie qui peut resurgir à tout instant, l’ensemble de la population n’étant pas immunisée.

Karl Kraus prophétisait que lorsque la technique aura atteint son sommet, l’humanité sera en plein déclin. Nous y sommes : à force de refuser notre condition d’êtres mortels et de vouloir à tout prix ( c’est l’expression de Macron ) sauver des vies, nous nous plions aux diktats d’un État Thérapeutique qui navigue à vue, ivre de son nouveau pouvoir et fier d’avoir à son service, voire à sa botte, les experts médicaux qui, tout comme les petites mains à leur service, jouissent d’un prestige inattendu. On les acclame tous les soirs sans avoir nécessairement conscience que les remèdes qu’ils préconisent sont souvent pires que le mal qu’ils combattent. Les guerres, comme les épidémies, ont leur utilité et il est vain de penser les éradiquer avec de bonnes paroles, des confinements et des gestes-barrières. Vivre est une épreuve pour tous : nous devons une mort à la nature. Autant l’accepter et, si possible, ne pas persévérer trop longtemps dans cette galère. Amen !

PROUST ET LE SADISME

Brassaï disait que bien plus qu’un roman sur la jalousie, l’amour, le temps ou la mémoire involontaire, « La Recherche » était un traité sur le sadisme. À une nuance près, et ,sur laquelle Proust reviendra souvent, à savoir que seul un être vertueux, pétri de bons sentiments, peut devenir sadique, ou, comme il l’appelle, « un artiste du mal », ce qu’une créature entièrement mauvaise ne pourrait pas être, car le mal lui semblerait tout naturel. N’ayant ni le culte de la vérité, ni la mémoire des morts, ni la tendresse filiale, « il ne trouverait pas un plaisir sacrilège à les profaner. »

Sur la profanation, inutile de rappeler l’épisode de l’amie de Mademoiselle Vinteuil crachant sur la photo de son père, scène romanesque qui préfigure celle, bien réelle, où Proust incite dans un bordel pour hommes de petites frappes à cracher sur les portraits de sa mère.

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Proust avait d’ailleurs rêvé d’écrire une pièce de théâtre sur le thème du sadisme. Et gardons-nous d’oublier l’ article qu’il donna au Figaro sur « Les sentiments filiaux d’un parricide. » Il n’est pas une mère, observe-t-il, qui ne soit en mesure d’adresser ce reproche à son fils : « Qu’as-tu fait de moi ! Qu’as-tu fait de moi ! », exclamation rapportée par Proust et que pousse Madame Blarenbergh ruisselante de sang avant de s’effondrer poignardée par son enfant. Ce cri, je l’ai ressenti au fond de moi-même comme la plainte de ma propre mère quand je pénétrais en catimini dans sa chambre encore obscure où je la tirais du sommeil par un tonitruant et lugubre : « Ich bin der Tod ». Oui, que n’ai-je pas fait à ma pauvre mère ! Il est vrai que la lecture de Thomas Bernhard l’avait vaccinée. Et c’est en lisant « Extinction » qu’elle s’est endormie pour ne plus se réveiller. Elle goûtait beaucoup cette phrase de Thomas Bernhard : « Nous Autrichiens sommes la vie en tant que désintérêt général pour la vie. » Je ne lui serais jamais assez reconnaissant de me l’avoir transmise.