EINSTEIN: UNE HISTOIRE RÉCONFORTANTE

Une catastrophe nucléaire a dévasté la planète. Rien que des morts, à l’exception d’un homme et d’une femme qui avancent péniblement sur un terrain lunaire où tout a disparu. Ils sont irradiés et marchent à peine. Soudain, ils aperçoivent un bout de forêt miraculeusement épargnée. À la lisière, un orang-outang et sa femelle. Les deux singes regardent le couple humain. L’homme et la femme s’effondrent et meurent. L’orang-outang regarde sa compagne d’un air concupiscent : « Merde, il va nous falloir tout recommencer ! »

LA ZOMBIE PHILOSOPHIE

J’ai sonné à ma porte. Personne n’a répondu. J’en ai déduit que j’étais déjà mort.

Si la philosophie, c’est apprendre à mourir, elle ne m’aura été d’aucune utilité.

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Je suis toujours parti de l’idée que j’étais déjà mort. Je me trompais moi-même : il me reste à franchir une dernière étape. Je me résigne à l’avouer : elle me terrorise.

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Le nihilisme est la philosophie des privilégiés. J’en ai fait partie. Ce n’est plus le cas. Me voici bien démuni.

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Es fährt ein Zug nach niergendwo et je suis le seul passager à bord.

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C’était quand même bien les piscines à Lausanne. Des nymphettes lisaient « MAD ». Des étudiantes se donnaient un genre avec « SEiN UND ZEIT ». Et moi je jouais au tennis de table sous le soleil. Un temps qui ne reviendra plus.

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Il paraît que nous sommes passés à une autre époque. Il serait malséant de considérer les jeunes filles comme des objets sexuels. Un regard appuyé serait déjà une forme de viol. C’est ce que j’appelle le désenchantement du monde.

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Une relation érotique qui ne soit pas un détournement de mineur est inconcevable. Mais il est avisé de choisir les mineurs parmi les majeurs.

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Autrefois j’apaisais mes angoisses auprès de Freud et en voyant des films de Fritz Lang. Aujourd’hui, le Stilnox et le Lexomil m’aident à entrer dans le sommeil. Quelle déchéance ! Et quand je drague, c’est avec mon IPhone. L’épidémie se répand : elle ne se limite pas à quelques virus soulageant la planète d’un surpoids démographique : elle détruit l’humanité aussi bien en nous que hors de nous.

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La philosophie n’a d’intérêt que lorsqu’elle perd la raison. Wittgenstein, au terme de sa vie, en était arrivé au point où il n’avait plus d’autre désir que de prononcer des sons inarticulés. Je pense, donc je sombre.

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Et Cioran quand il croisait un ami, se demandait : « Pourquoi donc ne s’est-il pas encore suicidé ? »

UNE SEMAINE AVEC KARINA…

Ce mercredi 12 septembre 2019

Je ne sais pas ce qui m’arrive.

J’avais décidé de mettre un terme à ma vie sentimentale. Après tout, j’approchais des quatre-vingts ans. Je n’avais que trop joué les vieux beaux, rôle que j’avais toujours jugé ridicule. Ma dernière conquête avait cinquante ans de moins que moi. Elle m’avait plaqué. Je m’y attendais. Je l’approuvais. À sa place, j’aurais fait de même.

Un ami m’avait conseillé de m’inscrire sur Tinder et de ne pas négliger les réseaux sociaux. Je me suis donc mis à la page. L’expérience ne fut pas concluante : trop de filles vénales, analphabètes et, à mon goût, trop vieilles ou trop grosses – souvent les deux à la fois. Je m’étais rabattu sur Asia Charm. Je voyageais ainsi à ravers l’Asie, sans les désagréments du tourisme lambda. J’étais pratiquement converti au virtuel.

Et soudain, dans la nuit, je reçus un message d’une fille qui ne savait pas où dormir. J’avais pris mes somnifères. Intrigué, je lui proposai néanmoins de passer chez moi. Je ne m’attendais à rien, ayant pour principe qu’il ne faut jamais rien attendre – sinon le pire. Le pire peut d’ailleurs avoir un certain charme. Je songeais par ailleurs à faire un livre sur Magda Goebbels.

Ce n’est pas l’égérie du Troisième Reich qui frappa à ma porte, mais une très jeune fille tirant derrière elle une grosse valise. Elle frissonnait. Je lui préparai un thé. Elle était exténuée. Ce qu’elle voulait, c’était un lit. Ce que je voulais, c’était son corps enfantin. Je me gardai bien d’insister. Je retournai dans ma chambre. Quelques minutes plus tard, elle s’était endormie. J’avais juste appris que son film préféré était Pierrot le fou. Cela tombait bien : c’était également le mien. Elle avait une frange…que demander de plus ? Je lui donnai le prénom de Karina. J’en saurai plus à son réveil.

Ce jeudi 19 septembre 2019

À l’exception d’un baiser sur la bouche, je n’en sais rien de plus. Elle partait pour son travail…et moi je somnolais encore. Je redoutais d’avoir une sale haleine.

«  Elle est de sa génération », m’a dit avec une lassitude étudiée Philippe Garnier avec qui nous dînions hier soir chez Yushi. Il a ajouté : « Au bout d’un mois tu t’ennuieras avec elle. » Ce que j’apprécie chez Philippe, c’est son désabusement et son goût pour l’échec. Tout court à sa perte pour lui. Nous nous rejoignons sur ce point. Mais je doute qu’il goûte encore avec volupté aux câlins d’une gracieuse gamine. Trop blasé pour ça. Moi, j’aspire avec une désinvolture qui n’est pas feinte à retrouver mon adolescence. Décidément, les vieux sont ridicules. Et il n’y a pas plus fou qu’un vieux fou.

Karina, je précise qu’elle est à moitié turque et à moitié arménienne, laisse sa valise chez moi. Elle parle si vite – et sans articuler – que je ne comprends que la moitié de ce qu’elle me raconte. C’est sans doute ce qui cimente un couple. Nous verrons dans un mois si Philippe Garnier avait raison. Il a écrit un joli roman qui a pour titre : « Mon père s’est pendu au bout du couloir ». Et un essai sur la tiédeur.

Est-ce Vijak que j’espère retrouver avec Karina. Vijak était Iranienne. Ce fut le grand amour de mes vingt ans. Elle en avait seize. Sweet Sixteen. Mais au bout du couloir, on ne rencontre plus que la mort.

Ce vendredi 20 septembre 2019

Son corps est mon opium. Attention : danger ! D’autant qu’elle se donne peu et, du coup, sans rien en laisser paraître, j’ai l’impression d’être un mendiant, un pauvre vieux un peu dégoûtant qui voudrait tant qu’elle m’offre avec générosité ce qu’elle ne me donne qu’avec parcimonie. Quand je le lui fais remarquer, elle me répond qu’il faut du temps. Il m’en reste peu du temps à mon âge. Elle a la vie devant elle….du moins se plaît-elle à le croire. Un seul point d’accord : le suicide à deux est l’apothéose de l’amour. Nous en sommes loin.

Par ailleurs, elle est tendre, discrète, n’élève jamais la voix, ni ne boude. Autre bon point : elle préfère les chiens aux chats. Aurais-je acquis sans le vouloir un chiot ? Ai-je dit qu’elle a le physique gracile d’une Eurasienne qui me fait aussitôt craquer. Elle ignore tout de moi, étant peu portée à la lecture et à la vie intellectuelle. Je n’en sais guère plus sur elle, sinon qu’elle se juge ultrasensible. Mais quelle fille ne pense-t-elle pas l’être ?

Tiens, j’y pense, à son avantage, elle ne fume pas. Pour l’instant, pas la moindre once de perversité. Resterons- nous des inconnus l’un pour l’autre ? Qui se lassera le premier ? Pendant qu’elle voyait une copine, je dînais avec Pierre-Guillaume de Roux et Ivan Rioufol chez Yen ( rue Saint-Benoit, une excellente adresse ). Je leur ai vaguement parlé de Karina. Ils n’en revenaient pas. Pierre-Guillaume m’a soufflé qu’il en dirait deux mots à Gabriel Matzneff. S’il pouvait l’inciter à faire sa chronique du « Point » sur mon John Wayne, ce ne serait pas mal non plus. Notre passion pour le cinéma américain n’était pas moins intense que celle que nous éprouvions pour les moins de seize ans.

À ce propos : le journal non expurgé de Julien Green enfin accessible dans «  Bouquins » après une attente de plusieurs décennies. C’est si beau que j’ai failli pleurer au Flore en tournant les pages : enfin de la vraie littérature !

J’ai trouvé un sous-titre pour mon portait de Magda Goebbels : du sionisme au nazisme. Il n’est pas donné à toutes les femmes d’assassiner ses six enfants. J’aurais tendance à le porter à son crédit.

Ce samedi 21 septembre 2019

Dans un mouvement d’humeur, j’ai traité Karina de sotte et d’inculte. Elle a aussitôt fait sa valise, commandé un taxi et s’est tirée. Dieu que les jeunes filles sont devenues susceptibles. Et moi qui espérais une nuit orgiaque pour mon anniversaire, me voici bien démuni ! Il me reste Julien Green…

Ce dimanche 22 septembre 2019

Aucune nouvelle de Karina.

Un anniversaire très réussi au Golfe de Naples avec quelques fidèles amis. Virginie était présente. Elle m’a raconté ses vacances à Hydra avec Simon Collin : ce n’était pas de la tarte. Il a fui nu dans les rues d’Athènes. Les mails qu’il lui a envoyés sont joliment tournés. Il lui reproche son vagin trop large et elle de ne pas éjaculer : ce sont les joies du couple. L’ennui avec Virginie, c’est qu’elle parle si vite avec un accent suisse-allemand que personne n’arrive à la comprendre. Elle a un physique de rêve, mais elle ne m’attire pas. L’absence de sex-appeal des Suissesses m’a toujours surpris : le protestantisme leur a enlevé le peu qu’elles avaient.

Ce lundi 23 septembre 2019

Au réveil, sur l’écran de mon IPhone, un « Coeur géant » de Karina. Elle passe en fin d’après-midi. J’ai feint de me réjouir. Mais pour être franc, je redoute ses récriminations. Je redoute encore plus de m’emmerder. D’un autre côté, je me dis que soixante ans de différence, ça a quand même de la gueule ! Ma capacité d’indifférence me surprendra toujours.

«  Les femmes qui ont de gros seins ont une petite cervelle » ( ce n’est pas le cas de Karina ), disait Sartre qui ne se trompait pas toujours. Que penserait – Il en voyant à quel point aujourd’hui les protubérances mammaires s’affichent fièrement. Quant aux culs, ils ont le volume d’une Buick des années soixante. Et les lèvres, épaisses et soulignées, suggèrent que les filles ont passé plus de temps dans les toilettes des garçons à leur tailler des pipes que dans les salles de classe à étudier : « Le Rouge et le Noir ». Il est vrai à leur décharge qu’on leur enseigne plus volontiers Virginie Despentes que Marcel Proust. Inutile de préciser que pour moi les écoles mixtes sont une catastrophe.

Un danseur étoile du Bolchoï a été interdit à l’Opéra de Paris pour avoir tenu des propos grossophobes. Et dire qu’à dix-huit ans, à Lausanne, dans le journal de la fac, je publiais un article au titre provocateur : «  Pas de pitié pour les grosses ! » qui était passé comme une lettre à La Poste. « Une femme n’est jamais assez mince, ni assez riche », disait l’impératrice Sissi. J’en parlais avec Jean-Marc Parisis. Nous sommes tombés d’accord : le physique des filles a tellement changé qu’on en vient à se demander si, inconsciemment, elles ne s’apprêtent pas à être au goût des Africains et des Arabes. C’est à ce genre de minuscules changements qu’on peut prendre conscience du grand remplacement qui s’opère. L’apparence physique relève toujours d’une idéologie : celle de l’islamisation n’est pas de mon goût.

Ce mardi 24 septembre 2019

Les filles de seize ans que je draguais à la piscine Montchoisi, lisaient Oscar Wilde ou Proust. Les plus âgées : «  La route des Flandres » de Claude Simon ( quel ennui ). J’avais quelques années de plus qu’elles, mais nous nous comprenions spontanément. Et me voici avec Karina plongée dans une biographie de France Gall …ah les sucettes de Gainsbourg ! Je la caresse doucement. Elle se laisse faire. Mais elle me dit qu’elle est fatiguée. Elle est toujours fatiguée. De temps à autre, elle joue avec mes doigts qu’elle lèche dans sa bouche.

Elle est dans un monde qui n’est pas le mien. Elle est comme un chien abandonné qui aurait trouvé sa niche. Elle m’assure qu’elle partira quand je le lui ordonnerai. Elle m’assure aussi qu’elle est prête à mourir avec moi. Un bon point pour elle. Sa mère est dépressive, son père alcoolique. Elle n’a pas le bac. Toutes ces filles qui font un master en psychologie sans avoir jamais travaillé, la font doucement rigoler. Elle ne doute ni de son intelligence, ni de son charme.

Ce mercredi 25 septembre 2019

La nuit passée, je me suis introduit dans son lit pendant qu’elle dormait. À son réveil, elle a cru que c’était un rêve. Elle me confie n’avoir eu que deux amants jusqu’à présent. Comme elle n’a aucune raison de me mentir, je la crois. Soudainement, elle m’annonce qu’elle veut lire Shakespeare. Elle demeure un mystère pour moi. Un mystère sans tatouage, ni piercing, ce qui n’est déjà pas si mal.

Mon impression après une semaine : celle d’avoir adopté un chiot. Je donnerai cher pour connaître la sienne.

Ce jeudi 26. 9. 2019

La réponse est arrivée plus vite que je ne l’imaginais. Son ex ( un clerc de notaire ) l’avait plaquée fin août. Dès qu’il lui a envoyé un : «  Coucou, ça va ? », son petit cœur d’adolescente a battu la chamade. Elle m’a avoué qu’elle ne parvenait pas à l’oublier. Et qu’elle ne voulait pas m’utiliser comme intérimaire. Ce qu’elle a d’ailleurs déjà fait. Et sans le moindre scrupule, elle qui se prétend si sensible, si morale, musulmane de surcroît. Je l’ai priée de dégager aussitôt. J’ai voulu prendre une vidéo pendant qu’elle se préparait. Elle m’a menacé d’un procès : le fameux droit à l’image – une des inventions juridiques les plus stupides de ces dernières années. Elle m’a piqué un livre de Fabrice Pataud : « Socquettes, tennis et abandon » que j’avais reçu le matin même. M’a promis que dès qu’elle aurait oublié son clerc de notaire, elle reviendrait. Je n’y tiens pas. Adios Karina. Après tout, elle n’a que vingt ans. Elle a droit à l’erreur. Et moi, il me reste Tinder et Asia Charm.

 

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QU’EN PENSENT LES PERSONNES LES PLUS VULNÉRABLES ?

Le gouvernement, sans doute bien intentionné, prend des mesures de plus en plus drastiques en vue de protéger les personnes les plus vulnérable – celles souffrant de pathologies sévères et celles qui ont atteint la limite au-delà de laquelle leur ticket n’est plus plus valable. Un beau geste de solidarité, apprécié par les âmes charitables. Encore faut-il que ces mesures soient efficace. Ne préjugeons de rien. À la fin du match, on aura tout loisir de commenter les stratégies mises en œuvre.

Il est pourtant une question que personne ne se pose vraiment : les vieillards et les handicapés souhaitent-ils vraiment qu’on prolonge leur calvaire ? À titre personnel ( je précise que j’ai près de quatre-vingt ans ), je réponds : non. Et je sais que je ne suis pas le seul. Entre la réanimation et le cocktail létal, je choisis sans hésitation la mixture qui m’enverra ad patres. En accord avec Sènèque, je dirais que « ce qui est un bien, ce n’est pas de vivre, mais de vivre bien. » « Faut-il quitter la vie ? », s’interroge l’empereur philosophe Marc-Aurèle. Il importe de se poser la question avant que la vieillesse n’obscurcisse la pensée, répond-il. À quoi bon allonger une vie qui doit de toute manière aboutir à une triste fin, alors que l’on a compris, pour paraphraser l’Écclésiate, que tout ne passe que pour revenir. Vivre n’est pas seulement douloureux, c’est vain. Certes, chacun se fuit toujours…mais à quoi bon, si l’on n’échappe pas à soi ?

Une intégrité physique et mentale nous donne un élan vital susceptible de nous procurer bien des plaisirs et de nous éviter ce genre de questions. Mais l’heure sonne vite où il n’est plus possible de les esquiver. Et dans des situations d’urgence comme celle que
nous vivons – il y en eut de bien pires dans le passé -, Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que les sacrifices auxquels consentent les citoyens et le corps médical n’ont de sens que si celles et ceux qui sont pris en charge le veulent vraiment. Leur offrir la possibilité de mourir en douceur, sans prolonger leur agonie, me semble tout aussi charitable. Sinon plus. Et raisonnable pour chacun, de surcroît.

 

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LA NUIT OÙ J’AI CRU ÊTRE FOU…

C’était par une nuit glaciale à la montagne, à Verbier précisément où mes parents possédaient un chalet qu’ils avaient baptisé «  Peter Pan ». J’avais invité une quinzaine de copains et de copines de mon âge. Nous formions une joyeuse bande d’adolescents. Le jour, nous dévalions les pistes. Le soir, nous draguions au Bar des Alpes ou au Farinet. Et la nuit, nous tenions d’interminables conciliabules à propos de tout et de rien. L’idée me vint alors de leur poser une question, une question dont la réponse me semblait évidente. Mais j’étais curieux de connaître leur réaction. La question, la voici : « Que feriez-vous si on vous demandait de ressortir dans le froid, de marcher pendant deux heures sous la neige jusqu’à une cabine où est installé un bouton. Si vous pressez sur ce bouton, l’humanité sera sauvée. Si vous vous abstenez et restez calfeutrés sous votre couette, ce sera la fin du monde. Rien ne subsistera. » Ils me regardèrent interloqués. Je ne le fus pas moins, lorsque tous se déclarèrent prêts à presser sur ce bouton, quoi qu’il leur en coûte. J’étais donc le seul à désirer l’extinction de l’humanité. Je crus devenir fou. Seul contre tous. Seul à ne pas désirer patauger plus longtemps dans ce bourbier. Seul à penser, alors même que je comptais parmi les privilégiés, que nos vies n’avaient qu’une piètre valeur et que les inconvénients de toutes sortes l’emportaient largement sur les plaisirs que nous pouvions en tirer. Je précise que j’avais alors quinze ans, que je n’étais pas dépressif et que je n’avais pas encore lu Schopenhauer ou Cioran.

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Ma question parut tellement incongrue à mes amis que nous passâmes rapidement à des sujets plus frivoles. Je jouai le jeu et ne laissai rien paraître du choc que j’avais éprouvé. Plus tard, avant de m’endormir, je me demandai si j’étais vraiment taré pour tenir en si piètre estime ce que chacun considérait comme le plus précieux des cadeaux : la vie. Plutôt que de pourrir dans une geôle, je préférais m’en évader. Quelque chose clochait en moi. Et d’ailleurs cloche encore. Freud disait qu’à New York, il avait été enchanté par cette publicité pour une entreprise de pompes funèbres : « À quoi bon vivre, quand on peut être enterré pour cinquante dollars ? » Ce qui m’a ravi chez lui, c’est son pessimisme radical, tout comme j’ai aimé le nihilisme joyeux de mon ami Cioran. Ils m’ont aidé à me considérer comme désespérément normal et à narguer ceux et celles qui s’obstinent à perpétuer l’espèce, sans avoir conscience que l’humanité n’est qu’une vaste usine assez délabrée, mais toujours en mesure de fonctionner pour produire le meilleur comme le pire. Viendra le jour où elle s’arrêtera d’elle-même….sans que nous ayons à presser sur ce bouton magique. Pour être franc, je ne regrette pas d’avoir participé à cette expérience digne d’un film de Frankenstein. Mais je m’en serais volontiers passé. Et je ne la renouvellerai en aucun cas. Une fois, ça suffit !

PEUT-ÊTRE QUE J’ÉTAIS UNE FILLE BÊTE…

Rassurons Mariia Rybalchenko : elle est tout sauf une fille bête. Et elle nous offre avec son : « Éloge érotique de Richard M. » une des plus belles histoires d’amour qu’il m’ait été donné de lire depuis longtemps. La formule, je le conçois, peut sembler convenue : elle vient pourtant du fond du cœur.

Mais vous souhaiteriez peut-être savoir qui est Marriia Rybalchenko : une jeune étudiante ukrainienne, fille de militaire, étudiante en français à Kiev. Elle obtient une bourse pour achever sa thèse à Paris sur : « Les écrits latins dans la pensée juive de Levinas. » C’est d’ailleurs chez Claude Tresmontant, son directeur de thèse, qu’elle rencontrera Richard Millet. Elle avait 22 ans et lui 66. Elle le précise : « Tout aurait été simple, idéal même, si je n’avais pas rencontré R. » Elle ne connaissait pas ses livres, n’avait rien lu de lui. Une amie l’avait prévenue qu’il avait une très mauvaise réputation dans le milieu intellectuel français. Il passait pour réactionnaire et n’avait plus d’éditeur, ce qui faisait de lui un homme seul. La solitude de Mariia à Paris était son seul refuge. On imagine facilement la suite.

Et pourtant, elle le confie, il y avait sans doute très peu d’amour entre R. et elle quand ils devinrent amants. « La première fois, il pénétra mon ventre lentement avec la douceur d’un médecin examinant un blessé. » Elle pleurait en murmurant un impuissant « J’ai besoin d’amour. » Richard sait parler aux femmes : « Tu as le visage d’un ange, quand tu jouis », lui disait-il.

Richard, lui, a honte de son corps abîmé. Il cache son ventre derrière ses mains. « J’étais plus musclé, il y a une dizaine d’années. Regardez comme je suis vieux maintenant ! » Parfois, il ne parvenait pas à faire l’amour. Il disait à Mariia que son corps semblait celui d’une fille de quinze ans et qu’il était trop beau pour lui. Quand tous les deux, ils se promenaient dans Paris, il aimait s’exclamer : « Extermination ! », imitant Cioran qui disait : « Dès qu’on sort dans la rue, le premier mot qui vient à l’esprit est extermination. » D’ailleurs, il comparaît souvent Mariia à Cioran qui ne s’était inscrit à l’université que pour obtenir une bourse et vivre à Paris. il avait aussi une arme, un Maurer, caché sous son lit. Il buvait du whisky japonais et avait une passion pour le cinéma.

À Kiev, en se préparant pour l’exil en France, Mariia espérait trouver le pays où Jean Seberg vendait le New York Herald Tribune sur les Champs-Élysées. Mais non, cette période glorieuse était passée depuis longtemps : tout ce qu’elle découvrait de Paris, était une peau morte, des visages illusoires. Richard, lui aussi, était dégoûté par l’Occident. Leur relation devint passionnelle. « Si quelqu’un te touche, je le tuerai ! », criait-il. Mariia aimait cette forme de jalousie, preuve de son désir, si précieux pour elle. La plus belle scène du livre est celle où Richard Millet connaissant les problèmes de digestion de Mariia, lui prépare du poisson grillé et de la purée de carottes. Puis, blottis l’un contre l’autre, ils regardent « Ordet » de Dreyer et pleurent ensemble, à la fin du film, lorsque Johannes, l’idiot, ressuscite sa belle-sœur morte. «  La même nuit, R. s’endormit contre la chaleur de mes fesses, » écrit-elle.

Elle sait aussi que R. est un homme dangereux pour une Slave aussi désespérée et exaltée qu’elle. Elle perdra son amour, elle se jettera sous un train ou finira dans une profonde mélancolie, songe-t-elle. Elle se montre alors hystérique, ne voulant rien connaître de son passé. Et c’est ainsi qu’elle le perdra. Il s’énerve de plus en plus vite, il drague des femmes plus âgées. Elle remarque ses poils dans ses oreilles. La magie se dissipe.

Passant devant une librairie du Quartier Latin où figure une grande photo de Le Clézio, il lui fait remarquer qu’il a l’air aussi bête que son style. Un autre soir, alors qu’ils mangent du munster, il commente : «  Mes mains sentent comme un fond de culotte d’Annie Ernaux. » Elle le taquine. Elle lui dit qu’il est le Clint Eastwood de la littérature française. Est-ce un compliment suffisant pour retenir un homme ? Sans doute non. Mais certainement pour lui permettre de ramasser ses souvenirs – et je passe sur les scènes érotiques – en une lettre d’amour que chaque écrivain souhaiterait recevoir.

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Mariia Rybalchenko : « Éloge érotique de Richard M. » éd . Pierre-Guillaume de Roux. 94 pages. 14 Euros.

SURPOPULATION ET RELAXATION DÉMOGRAPHIQUE

Nous savons que la principale menace qui pèse sur la planète est la surpopulation. Nous savons également que les guerres ou les épidémies provoquent une salutaire relaxation démographique. Douloureuse certes à supporter, mais indispensable. Aussi est-il permis de se demander si le pacifisme ou les mesures d’urgence sanitaire, aussi bien intentionnés soient-ils, ne vont pas à rebours des buts qu’ils se proposent.

La Première Guerre mondiale a fauché des millions de jeunes hommes. La Seconde n’a épargné personne. Quant à la Grippe Espagnole, elle a touché essentiellement des personnes qui avaient entre trente et quarante ans. Et nous voici face au Coronivarus qui va sans doute décimer les seniors et les individus dont les défenses immunitaires sont particulièrement fragiles. Une fois que le virus aura accompli sa tâche, il régressera et ne subsistera qu’à l’état résiduel, tout comme le Sida.

Quitte à choquer des âmes sensibles, j’en viens à me demander s’il ne serait pas préférable de laisser les populations vivre à leur aise, même si cela doit augmenter substantiellement une mortalité pour l’instant encore infime. Il est vraisemblable que nous assistions à intervalles réguliers à des crises sanitaires, économiques ou guerrières contre lesquelles nous serons toujours plus démunis. Se protéger, pourquoi pas ? Rassurer les populations avec des paroles anxiogènes et des mesures liberticides, c’est la mission des politiques. Mais on peut demeurer sceptique sur les résultats annoncés. De toute façon, tant que la relaxation démographique n’aura pas eu lieu, ce ne sera jamais que partie remise.

 

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Accepter des restrictions à nos libertés et assister à l’effondrement de l’économie est certes un spectacle réjouissant pour les amateurs de films apocalyptiques. « Soleil vert » de Richard Fleischer en est une belle anticipation. Mais, à titre personnel, je préférerais que ce soit sans toucher à mon mode de vie. La Liberté ou la Mort ! J’ai l’impression qu’on piétine nos libertés face à l’inévitable. Oui, chacun a rendez-vous avec la mort….à quoi bon y prêter trop d ‘attention ? Pourrir nos existences parce qu’un minuscule virus fait son boulot ( si ce n’est pas lui qui le fait, un autre prendra la relève) témoigne d’un volontarisme un peu vain. « Pratique le non-agir et tout restera dans l’ordre » conseillait Lao-Tseu. La sagesse taoïste méritait un rappel. Voilà qui est fait !

PORTRAIT DE MON PÈRE

Lorsque, enfant, je me promenais avec mon père, il m’enseignait que l’homme qui s’étudie ne s’analyse pas seulement : il se crée. Il me conseillait également de tenir mon journal intime, ce que je fis dès ma douzième année.

Plus tard, quand je lui soumis mes premiers essais littéraires où je tentais non sans maladresse, ni application, d’affirmer mon originalité, il se moqua doucement de moi : « Rien n’est plus commun que de se croire hors du commun, me dit-il. En fait, voyez-vous, les idées, même celles qui nous semblent être les plus personnelles, les plus originales, échappent au temps, comme si elles provenaient de quelque fond originel de l’âme, d’où s’élève l’esprit éphémère de l’être individuel. Ce n’est pas nous qui les faisons, ce sont elles qui nous font, comme une plante qui va porter des fleurs, donner des fruits et des graines, puis se faner et mourir. »

Il me tenait également sur les humains des propos qui, pour autant que je les comprenais, m’impressionnaient par leur caractère désabusé. Ma propre expérience devait m’apprendre qu’ils n’étaient que réalistes. « Si vous désirez une image de l’avenir, me disait-il sans jamais se départir de son sourire, imaginez une botte piétinant un visage…éternellement. »

En familier de Baltasar Graciàn, il me répétait volontiers qu’il n’y a pas grand-chose à faire dans ce monde, « sinon y patauger, tâchant de s’en tirer du mieux qu’on pourra.» Croyez-moi, les hommes vous feront peu de cadeaux, ajoutait-il. Si vous voulez avoir une vie, il vous faudra la voler.

À cette fin, il me mettait en garde contre les bons sentiments, alors que seules comptent l’âpreté au gain et la volonté de puissance. Il flairait d’ailleurs toujours une insolite probité d’esprit chez quiconque s’abstenait de professer des idées généreuses. Par dessus tout, il aimait citer son cher Marc-Aurèle : « Ce concombre est amer, jette-le ! Des ronces entravent le chemin, évite-les ! Ne demande pas : pourquoi faut-il qu’il en soit ainsi ? » À l’absurdité du réel, il refusait la niaiserie d’une explication.

Il m’invitait enfin à tout faire, à tout dire, à tout penser en homme qui peut sortir à l’instant de la vie. « Celui qui peut mourir, ne peut être contraint, ajoutait-il, c’est là notre seule liberté. » Il m’incitait également à apprendre à mourir avant de mourir. « Si vous ne vous entraînez pas à la mort, jamais vous ne pourrez acquérir la paix de l’esprit. » Quant au bonheur, il consistait, selon lui, à désirer ce que l’on possède déjà. À vrai dire, je ne lui ai jamais connu d’autre ambition que de régner sur lui-même. Sa mesure lui suffisait. La liberté n’était pas son but : elle était sa propriété.

 

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KAFKA ET LA PETITE FILLE

Kafka aimait flâner dans les parcs de Prague. Au cours d’une de ses déambulations, peu avant sa mort, il rencontra une petite fille qui pleurait la perte de sa poupée. « Ta poupée est en voyage,lui dit Kafka. Je le sais, elle vient de m’écrire.» Comme la petite fille demeurait dubitative, il lui donna rendez-vous le lendemain au même endroit. Il rentra chez lui, écrivit pendant la nuit une longue lettre et retourna au matin dans le parc. Il lut à l’enfant qui l’attendait fébrilement ces quelques pages où la poupée racontait ses aventures, ses voyages, sa nouvelle vie. Le jeu dura trois semaines. Kafka y mit fin en trouvant un époux à la petite fille. Il savait que les femmes ont une étrange façon de mourir : elles se marient.

Peut-être, en observant cette fillette, s’est-il souvenu de sa première expérience sexuelle à vingt ans avec une vendeuse. Il avait eu honte de baigner son visage dans une eau malpropre et avait éprouvé tout à la fois un irrésistible désir de souillure. Plus tard, dans ses romans, il mettrait toujours en scène des femmes à la sentimentalité flasque, caressantes et obscènes, comme une mère que la vie aurait entraînée vers les bas-fonds.

Il avait toujours pensé que « le coït est le châtiment du bonheur de vivre ensemble » et que les femmes sont des pièges qui guettent l’homme de tous côtés pour l’entraîner dans le domaine exclusif de la finitude. Il avait pitié des petites filles « à cause de la transformation en femmes à laquelle elles doivent succomber ». Il préférait les jeunes filles auxquelles il envoyait des lettres, tout en sachant leur bavardage n’était que des bastions de silence, ce qui entretenait sa « chimère du désespoir. »

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Le mot de Kafka que je préfère : « Qu’ai-je en commun avec les Juifs, moi qui n’ai déjà rien de commun avec moi-même ! »

UN PEU DE CIORAN À LA SAUCE CORANIVIRUS

Les religions me répugnent par leur acharnement à justifier à tout prix l’illégitime : l’aspiration à la vie. Le Coronavirus n’a au moins pas cette prétention.

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Il me semble évident que le vœu secret de tout homme soit la disparition de tous. Le destin latent de tout individu est de haïr ses semblables. Le Coronavirus nous dispense de ces bisous ridicules à chaque rencontre.

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Pour celui qui ne sait plus se réjouir naïvement d’une banalité, la vie perd toute saveur. Le Coronavirus nous sauve de l’illusion que seraient censés provoquer les voyages, cette fuite hors de soi.

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Rien n’effraye plus l’homme que le temps pur. Le Coronavirus lui donne l’occasion de l’expérimenter.

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Le Coronavirus est la négation même du Progrès et de ses chimères, notamment de la globalisation et de cette arnaque qu’on nous vend comme le vivre-ensemble.

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Une chose est sûre : la vie n’a aucun sens. Mais une autre l’est plus encore : nous vivons comme si elle en avait un. Le Coronavirus nous permet de revenir à l’essentiel.

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Le Coronavirus nous astreint à nous tenir dans le temps, plus oisif que Dieu avant la Création en imaginant et parfois en atteignant la limite absolue de l’inutilité.

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Dans les villes, nous rencontrons la mort dans les yeux des passants. Ils semblent ignorer que la vie et la mort sont dans le fond aussi insupportables l’une que l’autre et qu’il n’y a aucune raison de privilégier la première et de désavouer la seconde. Le Coronavirus nous enseigne à accepter notre fin par surprise. Il est triste que l’homme n’ait qu’un seul espoir : retrouver l’espoir. Son châtiment sera d’autant plus atroce.

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Sur ces bonnes paroles, n’oubliez pas de vous laver les mains !

schoolgirl