Par une étrange coïncidence, Sue Lyon est morte ce 26 décembre 2019 à l’heure où Gabriel Matzneff, marqué du sceau de l’infamie, fuyait la France pour l’Italie où un ignoble lynchage médiatique mettait sa vie en danger. Pour la beauté du scénario, on eut préféré que Sue Lyon agonisât dans les bras de M. le Maudit, mais la mort n’est pas toujours présente au bon moment, ni au bon endroit.
Ce cher Patrick Mandon qui m’apprend cette triste nouvelle, remarque justement que sa danse avec un hulla-hoop devant James Mason dans le jardin serait aujourd’hui interdite. D’elle et de cette scène, Nabokov avait dit qu’elle était l’incarnation de la nymphette (d’ailleurs édulcorée par Stanley Kubrick). Le film est sorti en 1962. Aujourd’hui, nul ne pourrait l’adapter.
Les nymphettes en celluloïd sont nées à Hollywood par la grâce du plus grand metteur en scène de tous les temps : David Wark Griffith, un gentleman sudiste qui transforma son obsession en une forme inédite, mais largement partagée, de sexualité allant droit au cœur des spectateurs. La première Lolita fut bien sûr Lilian Gish qui avait moins de seize ans ans lorsqu’elle fut repérée par Griffith qui en fit une star internationale avec « Naissance d’une Nation » en 1915. Ce qui fascinait Nabokov dans ces filles à peine pubères qui se succédèrent sur les écrans, c’était – et c’est encore – leur côté démoniaque. Est-ce l’homme mûr qui est leur victime ou sont-elles la proie d’infâmes prédateurs ? Qui a séduit qui ? Je serais bien peine de répondre à cette question, mais en revanche il me semble évident que nous touchons au cœur d’un inconscient collectif qui rend ce mythe de la nymphette et de son prédateur présumé quasi inépuisable, quelle que soit l’opinion qu’on puisse émettre sur l’exploitation sexuelle, au cinéma comme dans la vie, de lolitas en herbe.
Sue Lyon fut celle, avec Louise Brooks dans « Lulu » et Caroll Baker dans « Baby Doll », sans oublier Brooke Shields dans « Pretty Baby », qui incarna le mieux le mythe de Lolita. À ce titre, elle reste inoubliable, même si à titre personnel j’ai un faible pour « La Nuit de l’Iguane » qu’elle tourna deux ans plus tard sous la direction de John Huston. Je n’ai, en revanche , jamais vu « L’étrangleur invisible » qui date de 1984, mais je puis assurer que ce n’est pas Gabriel Matzneff quoiqu’affirment aujourd’hui d’ex-nymphettes.
Une citation de Quignard pour refréner la nausée que m’inspire l’unanimisme meurtrier des bienfaisants coalisés :
« Jamais je ne pus m’empêcher de répondre présent aux brusques appels de solitude et de silence où me plongeait la présence de l’humanité criante, hurlante, jacassante, piétinante, avançant en nations pour tuer ou s’amassant en foule désordonnée pour voir tuer. Rares les fois où je n’ai pas précipité mon départ avec imprudence. Ceux qui me voient m’éclipser en un instant supposent à tort que l’angoisse commande cette fuite soudaine. C’est pire que l’angoisse : c’est le sentiment de l’humanité. »
Pascal Quignard, La Barque silencieuse
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