Comment ai-je passé ma nuit de Noël ? Seul, dans mon studio parisien. Au menu : patates douces, champignons et un jambon italien au Chianti. Une bière blonde, St-Stephanus, et pour conclure un triple Kazaar, un mélange particulièrement audacieux, je cite la publicité de Nespresso, de Robusta et d’Arabica d’Amérique du Sud d’une puissante amertume.
Il ne m’en fallait pas moins pour supporter The Pawnbroker – en français Le Prêteur-sur-gages – tourné en 1964 par Sidney Lumet avec Rod Steiger. La noirceur humaine suinte à chaque plan de ce chef d’œuvre désespérant où nulle rédemption ne se profile et aucun espoir n’est jeté en pâture aux bonnes âmes, ce qui serait d’une indécence suprême après avoir comme le Professeur Nazerman survécu à Auschwitz.
Jamais je n’ai vu un film aussi noir – donc si révélateur de la condition humaine telle qu’elle grouille dans les camps de concentration , les quartiers glauques de Harlem ou les soirées mondaines de la haute société. Même le Latinos, qui a pour prénom Jésus et qui assiste le prêteur-sur-gages, sera abattu à la fin du film par ses potes. Jésus agonisant la nuit de Noël sous la pluie et Rod Steiger cherchant en vain la mort, juif errant n’ayant plus qu’une obsession : l’argent, ce tableau de l’humanité valait à mes yeux toutes les crèches de Noël, les messes de minuit et les retrouvailles familiales. Je n’ai même pas répondu aux messages parfaitement niais déposés sur mon iPhone.
Une seule question me taraudait : étais-je donc le seul à me sentir en bonne compagnie avec le Professeur Nazerman, enseignant à l’université de Leipzig avant la Deuxième Guerre mondiale, incarnation du Juif errant ou de Job ? Peut-être aurais-je dû voir le film en coréen et éviter l’intensité exceptionnelle de mon triple Kazaar : j’aurais assurément dormi d’un sommeil plus paisible. Après tout, les chants de Noël ont peut-être du bon…
Comment j’ai passé Noël ? En famille et nous avons mangé à profusion des terrines, mon beauf avait organisé un concours et à la fin du repas nous avons désigné la plus originale et la meilleur, gustativement. Il s’est trouvé que la plus originale soit arrivée dernière dans l’autre classement. J’ai jeté à la poubelle les restes hier. Je suggère que l’année prochaine, on ne vote que pour la plus agréable au goût, ça évitera de gâcher.
Comme beaucoup plus de gens qu’on ne le crois, je n’aime pas Noël, je me fais un peu violence chaque année pour participer au rendez-vous familial. Il est arrivé que certaines années, mes efforts soient vains, j’ai alors passé Noël dans les mêmes conditions que toi cette année. Le 24, je suis arrivé autour de 21 heures, au moment où les festivités commençaient, je mettais éclipsé une bonne partie de la matinée et de la soirée, cinq heures en tout, pour soi-disant promener le chien de mon autre beauf. J’ai beaucoup apprécié. Il faisait ses affaires au bout de la laisse, courait de droite à gauche au gré des odeurs qu’avaient laissé sur les mûrs ou dans l’herbe ses congénères. Au début, il était tout fou, il a même failli me faire tomber tellement il tirait fort, et puis au bout d’une heure ou deux, il s’est calmé, la fatigue. J’aurais bien aimé savoir qui de nous deux était le plus endurant, mais il aurait sans doute fallu que nous marchions encore de longues heures car en arrivant, je l’ai détaché et quand je lui ai tendu la laisse pour voir s’il voulait remettre ça, il était près à repartir, certes, avec moins d’engouements que le matin, mais il est venu vers moi. C’est bien un chien pour se balader, ça ne parle pas, tu peux te plonger dans tes pensées tout en ayant un peu de compagnie. Beaucoup d’écrivains ont des chats, c’est sans doute cela qu’ils apprécient, le silence et la compagnie. Tu te dépeints comme un dur, j’imagine que les messages « niais » dont tu parles étaient amicaux, ce devait être des « Joyeux Noël », mais tu n’en n’est pas un, peut-être es-tu même particulièrement sensible, je dis ça à cause de certaines de tes fréquentations, je pense à Cioran et à André Laude, qui étaient des êtres plutôt tendre, à les lire, et puis une fois, tu m’as laissé un message plein de compassion à mon égard, alors que je vivais un moment difficile et que tu ne me connaissais quasiment pas. Et tant pis si tu me trouves niais, joyeuses fêtes.
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10 lignes à propos du chien retenu en otage, dans une déclaration d’amour feutrée un soir de Noël, c’est tout de même beaucoup, à moins qu’il ne s’agisse d’un message codé, plutôt que soi disant niais comme le prétend trop facilement son auteur. Si c’est le cas, on s’incline car il reste indétectable sauf pour un psychanalyste Lacanien.
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