BLANCHES COLOMBES ET VILAINS MESSIEURS

En lisant le récit de Vanessa Springora, Le Consentement qui n’est pas d’une tendresse particulière à l’endroit de celui qui fut son amant alors qu’elle était encore lycéenne – les habitués de la piscine Deligny reconnaîtront sans doute l’auteur des Moins de seize ans – je me suis souvenu d’une réflexion de l’excellent écrivain basque, Inãki Uriarte, réflexion que je me suis faite dès lors que je me suis mis à écrire (j’avais quinze ans) : « Nombre de ceux qui veulent devenir écrivains vendraient leur âme au diable pour bien écrire. Ce que j’ai appris avec l’expérience : on peut être un salaud et bien écrire. Et il est fort probable que seuls les salauds parviennent à bien écrire. »

Cette citation aurait pu figurer en exergue au récit de Vanessa Springora, par ailleurs plutôt bien ficelé. Et j’espère, sans trop y croire, en être digne un jour…même s’il est un peu tard. D’autant plus que la concurrence va devenir redoutable, les vieux, amateurs de chair fraîche ,étant de plus en plus nombreux. Avant, les écrivains ne vivaient pas aussi longtemps et les gamines délurées n’avaient pas fait leur classe devant leur petit écran. Il y aura à l’avenir de plus en plus d’écrivains pervers et manipulateurs, à côté desquels Gabriel Matzneff qui leur fait apprendre par cœur et réciter le Notre Père en français et en russe, fera figure de romantique attardé. Les éducations sentimentales en littérature sont souvent émouvantes. Celle de Vanessa Springora a un parfum de revanche qui lui enlève tout charme. Elle colle si parfaitement à l’esprit du temps, comme Flavie Flament avec David Hamilton, qu’on éprouve presque un sentiment de nausée face à ces règlements de compte qui surviennent trop tardivement pour être vraiment crédibles, même s’il est vrai que la vengeance est un plat qui se mange froid.

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Vanessa Springora, Le Consentement, Éd. Grasset. 205 pages. 18 Euros.

LOLITA N’EST PAS MORTE DANS LES BRAS DE M. LE MAUDIT

Par une étrange coïncidence, Sue Lyon est morte ce 26 décembre 2019 à l’heure où Gabriel Matzneff, marqué du sceau de l’infamie, fuyait la France pour l’Italie où un ignoble lynchage médiatique mettait sa vie en danger. Pour la beauté du scénario, on eut préféré que Sue Lyon agonisât dans les bras de M. le Maudit, mais la mort n’est pas toujours présente au bon moment, ni au bon endroit.

Ce cher Patrick Mandon qui m’apprend cette triste nouvelle, remarque justement que sa danse avec un hulla-hoop devant James Mason dans le jardin serait aujourd’hui interdite. D’elle et de cette scène, Nabokov avait dit qu’elle était l’incarnation de la nymphette (d’ailleurs édulcorée par Stanley Kubrick). Le film est sorti en 1962. Aujourd’hui, nul ne pourrait l’adapter.

Les nymphettes en celluloïd sont nées à Hollywood par la grâce du plus grand metteur en scène de tous les temps : David Wark Griffith, un gentleman sudiste qui transforma son obsession en une forme inédite, mais largement partagée, de sexualité allant droit au cœur des spectateurs. La première Lolita fut bien sûr Lilian Gish qui avait moins de seize ans ans lorsqu’elle fut repérée par Griffith qui en fit une star internationale avec «  Naissance d’une Nation » en 1915. Ce qui fascinait Nabokov dans ces filles à peine pubères qui se succédèrent sur les écrans, c’était – et c’est encore – leur côté démoniaque. Est-ce l’homme mûr qui est leur victime ou sont-elles la proie d’infâmes prédateurs ? Qui a séduit qui ? Je serais bien peine de répondre à cette question, mais en revanche il me semble évident que nous touchons au cœur d’un inconscient collectif qui rend ce mythe de la nymphette et de son prédateur présumé quasi inépuisable, quelle que soit l’opinion qu’on puisse émettre sur l’exploitation sexuelle, au cinéma comme dans la vie, de lolitas en herbe.

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Sue Lyon fut celle, avec Louise Brooks dans « Lulu » et Caroll Baker dans « Baby Doll », sans oublier Brooke Shields dans « Pretty Baby », qui incarna le mieux le mythe de Lolita. À ce titre, elle reste inoubliable, même si à titre personnel j’ai un faible pour « La Nuit de l’Iguane » qu’elle tourna deux ans plus tard sous la direction de John Huston. Je n’ai, en revanche , jamais vu « L’étrangleur invisible » qui date de 1984, mais je puis assurer que ce n’est pas Gabriel Matzneff quoiqu’affirment aujourd’hui d’ex-nymphettes.

BEIGBEDER NE SERAIT-IL PLUS NIHILISTE ?

J’avais bien peur que la réponse soit oui, en ouvrant au hasard son dernier livre où, devenu père de famille, il avoue : « Avoir des enfants sert à perdre son nihilisme ». J’ai découvert au fil des pages qu’il n’avait rien perdu, en revanche, de son insolence, ni de sa lucidité, comme en témoigne cette formule vacharde à laquelle je souscris : « La paternité, c’est de la pédophilie platonique. » À quoi bon mettre des enfants au monde, si on ne peut pas abuser d’eux ? À l’heure où l’on ne peut même plus abuser de ceux des autres – Gabriel Matzneff est bien payé pour le savoir – sans doute vaudrait-il mieux s’autocensurer et renoncer à provoquer les braves gens. Autant alors renoncer à la littérature, ce que ni Gabriel, ni Frédéric ne feront jamais…et c’est pourquoi je les soutiendrai toujours. Laissons l’autocensure aux pleutres et aux faibles d’esprit, à supposer qu’il leur en reste de l’esprit, ce dont doute Frédéric Beigbeder favorable à la légalisation du cannabis et qui répond à Emmanuel Macron prétextant que le cannabis ramollit le cerveau des enfants : « Avec tout le respect que je vous dois, Monsieur le Président, les enfants n’ont plus de cerveau depuis la création de Facebook. » Conclusion : quand on a signé un pacte avec le diable, c’est pour la vie. Non, mon Cher Frédéric, tu ne te débarrasseras pas si facilement de ton nihilisme…

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UNE NUIT DE NOËL SANS ILLUSIONS…

Comment ai-je passé ma nuit de Noël ? Seul, dans mon studio parisien. Au menu : patates douces, champignons et un jambon italien au Chianti. Une bière blonde, St-Stephanus, et pour conclure un triple Kazaar, un mélange particulièrement audacieux, je cite la publicité de Nespresso, de Robusta et d’Arabica d’Amérique du Sud d’une puissante amertume.

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Il ne m’en fallait pas moins pour supporter The Pawnbroker – en français Le Prêteur-sur-gages – tourné en 1964 par Sidney Lumet avec Rod Steiger. La noirceur humaine suinte à chaque plan de ce chef d’œuvre désespérant où nulle rédemption ne se profile et aucun espoir n’est jeté en pâture aux bonnes âmes, ce qui serait d’une indécence suprême après avoir comme le Professeur Nazerman survécu à Auschwitz.

Jamais je n’ai vu un film aussi noir – donc si révélateur de la condition humaine telle qu’elle grouille dans les camps de concentration , les quartiers glauques de Harlem ou les soirées mondaines de la haute société. Même le Latinos, qui a pour prénom Jésus et qui assiste le prêteur-sur-gages, sera abattu à la fin du film par ses potes. Jésus agonisant la nuit de Noël sous la pluie et Rod Steiger cherchant en vain la mort, juif errant n’ayant plus qu’une obsession : l’argent, ce tableau de l’humanité valait à mes yeux toutes les crèches de Noël, les messes de minuit et les retrouvailles familiales. Je n’ai même pas répondu aux messages parfaitement niais déposés sur mon iPhone.

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Une seule question me taraudait : étais-je donc le seul à me sentir en bonne compagnie avec le Professeur Nazerman, enseignant à l’université de Leipzig avant la Deuxième Guerre mondiale, incarnation du Juif errant ou de Job ? Peut-être aurais-je dû voir le film en coréen et éviter l’intensité exceptionnelle de mon triple Kazaar : j’aurais assurément dormi d’un sommeil plus paisible. Après tout, les chants de Noël ont peut-être du bon…