
Cher Roland,
Notre professeur de philosophie (celui qu’eut aussi le camarade Schiffter) nous faisait réserver les pages de gauche du cahier où nous prenions son cours à des citations qu’il nous dictait de temps en temps. La première fut : » Ce qu’on dit de soi est toujours poésie » ( Amiel ).
Depuis, je n’ai guère progressé dans la connaissance de ce sage sans illusion. Sauf qu’après avoir lu ton beau livre prosélyte, j’inscris aussitôt Amiel dans la liste des œuvres immenses qu’il me reste à lire de toute urgence, en plus de celles du duc de Saint-Simon, d’Hermann Broch ou du bon vieux Tolstoï ( pourvu qu’on ne m’empêche pas de continuer à picorer chez les légers et les cinglants, chez Renard, Rigaut, Radiguet, Nimier, Cioran, Frédérique, Ylipe, etc. ).
Le fait de n’être pas encore familier d’Henri-Frédéric me donne un handicap et un plaisir. Handicap de ne pouvoir déterminer la justesse de ton raccourci ou l’importance de ta dette – bref, de ne pouvoir déterminer si ton Amiel est plus jaccardien que Jaccard n’est amiélien ( ou l’inverse ). Et le plaisir, c’est de pouvoir supposer que ton court opus est aux dix-sept mille pages du journal d’Amiel ce qu’une fiole de grand armagnac est aux hectares de vigne gersoise ou landaise dont il est la subtile émanation.
Tel quel, en tout cas, cet hommage a l’élégance marmoréenne d’une stèle, mais l’on devine sur les joues de l’impassible sculpteur le rosissement et le frémissement d’un début d’émotion.
Amiéliennes pur sucre ou non, bien des formules de ce livre donnent à penser , depuis l’idéal de Marie prête à vivre » pour celui qu’elle aime, même sans lui « , jusqu’à cette idée si séduisante d’ » un écrivain qui ne s’aime pas et qui répugne à prendre ses lecteurs dans les filets de son œuvre « .
Merci, merci, merci pour » Les derniers jours d’Henri-Frédéric Amiel « .
Je t’embrasse,
Dominique.
P.-S. Autre beauté du livre » …et le jour se retira de moi comme la lumière des vallées après le soleil couchant. «