Bavardage sur l’angoisse de la page blanche …

Une interview vintage à l’usage des écrivains qui n’écrivent pas.

Tout ce que j’écris est tiré de mon journal intime. Ce sont des choses personnelles et impudiques, sur les gens que je rencontre, sur l’air du temps. Donc pas d’état d’âme, pas de problème d’inspiration. L’angoisse vient après, lorsque le livre est sorti. Je me demande comment j’ai pu être assez con pour me lancer dans cette affaire. Pour m’être dénudé sans que l’on ne m’ait rien demandé, et livré ainsi à la critique. Tous les éléments pour instruire mon procès sont là, dans le livre ! L’angoisse, pour moi, c’est donc l’angoisse d’en avoir trop dit.

Quant à la première phrase, elle apparaît toujours subitement, et entraîne le reste. C’est toujours la meilleure, il faut bien l’avouer. On pourrait d’ailleurs s’arrêter à la première phrase.

Quand j’étais jeune, devant mes dissertations, j’étais pris d’une autre angoisse, celle de ne pas parvenir à tout dire. D’être arrêté dans mon élan avant d’avoir eu le temps de conclure. Dans les romans, au contraire, il vaut mieux s’abstenir de conclure, d’accabler le lecteur de virtuosité et des preuves grandiloquentes de votre savoir. On doit lui laisser une marge, de quoi se désangoisser par lui-même.

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Le vagabond de Spoon River …

Ezra Pound disait de lui qu’il était le seul poète qui sache écrire en Amérique …

Un drôle de type, cet Edgar Lee Masters. Il nait à Garnett, dans le Kansas, en août 1869. Son père le nourrit de grec et de latin avant de l’envoyer faire ce qu’il avait fait lui-même : des études de droit. Edgar Lee Masters promènera pendant des décennies sa silhouette hautaine de prince du barreau, et de poète secret, dans les cercles les plus huppés de Chicago. Il arbore un panama, fume du Prince-Albert dans une pipe qui ne cesse de s’éteindre et proclame que l’étude du droit a été pour lui « un passage aux rayons X, comme une table de produits chimiques. »

On le tient, à Chicago, dans les milieux littéraires, pour un dilettante. Jusqu’au jour où une revue de Saint Louis lui envoie L’Anthologie palatine, recueil des plus belles épitaphes du monde antique. Et pourquoi pas une anthologie américaine ? Edgar Lee Masters compile aussitôt les deux cent cinquante épitaphes de la petite ville de Spoon River. Sur les tombes, les secrets d’une vie sont dévoilés, ultimes confessions d’une ironie lucide et cinglante. Le vice, la concupiscence, le crime, et pire que tout, la banalité hypocrite et grossière du quotidien, s’étalent dans ces autoportraits funéraires.

Comme dans le récit de Dostoïevski, Bobok, les morts se lèvent un à un et, affranchis de toutes les conventions, mettent leur âme à nu. Nous sommes en 1915 et le livre de Lee Masters fait scandale. Il rencontre un succès tel que l’auteur est conscient d’avoir « atteint les sommets de l’art et respiré le même air que les grands maîtres ». Il abandonne les tribunaux et s’installe à l’hôtel Chelsea, le repaire de la bohème new-yorkaise, où il entend faire oeuvre.

C’est comme un forcené qu’il écrit des pièces de théâtre, une biographie à charge d’Abraham Lincoln, des hymnes à la sodomie et à la fellation, quelques poèmes bouleversants sur le crépuscule d’une idole, lui-même, que le succès et la vie abandonnent peu à peu.

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« Et, le temps passant, j’ai pris mes repas chez Mayer,

À la sauvette comme un don Juan gris,

Sale, édenté, fini, au rancart … 

Il y a ici une grande ombre qui chante,

Une certaine Béatrice,

Et je vois maintenant que la force qui a fait sa grandeur

M’a mis au ban de la vie. »

Béatrice a trente ans de moins que lui. Elle est féline, comédienne et explosive, elle veille sur ce vieillard édenté, qui arbore toujours son panama et n’a plus toute sa tête.

« On vous donne soixante-dix ans pour faire votre jeu.

Si, dans ce laps de temps, vous n’avez pas gagné

Vous ne gagnerez jamais. »

Edgar Lee Masters a gagné, mais il ne le sait pas, il l’a déjà oublié. Il meurt discrètement, en mars 1950. Il reposait déjà, depuis 1915, dans le cimetière de Spoon River. Toutes les épitaphes ont été écrites.

Spoon River, par Edgar Lee Masters, réédition chez Allia.

LE CURÉ MESLIER, EXORCISTE DANS L’ÂME …

meslier3Le curé Meslier ne croyait ni en Dieu, ni en l’âme, ni à aucun dogme de l’Église. Il serait fort surpris d’assister à ses multiples résurrections. Né en 1664 dans un village des Ardennes, mort en 1729 dans un autre village des Ardennes, il n’a laissé pour trace de sa minuscule odyssée qu’un manuscrit posthume, blasphématoire et sacrilège, d’une violence révolutionnaire et anticléricale qui lui vaudra d’être découvert par Voltaire, pillé par Diderot, cité par Pouchkine, détourné en mai 68 et redécouvert dans les années 2000 grâce à Armand Farrachi.

Cet étrange personnage fut tour à tour considéré comme un Spinoza à l’état sauvage, un Douanier Rousseau de la conscience européenne ou un Saint-Simon de la glèbe, saisi par une frénésie d’écriture la nuit, dans l’urgence de la colère et pour un public à jamais inconnu. Misanthrope, le curé Meslier ne réservait pas ses coups aux puissants, souhaitant, selon une formule qui fit fortune, que « tous les nobles fussent pendus et étranglés avec les boyaux des prêtres », mais à tous les hommes, écoeuré qu’il était par leur servilité et leur cruauté. La légende veut qu’il ait poussé la radicalité jusqu’à se laisser mourir de faim.

Pour Armand Farrachi, les curé Meslier est un précurseur de Thomas Bernhard, élevant le ressassement du dégout au rang des beaux-arts. « Ce soliloque contre le monde est lui-même un monde, épanchement de matière verbale où le discours renonce à la barre de mesure d’un souffle trop humain » écrit Farrachi.

Produisait-il de « l’art brut », ce prêtre sans Dieu, cet écrivain sans public, ce révolutionnaire sans révolution, pourfendeur de la « société du mensonge » ? Si sa voix a traversé les siècles, c’est qu’il parlait, c’est qu’il pensait, du fond de son tombeau : il n’avait rien à perdre.

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À lire : Testament de Jean Meslier, dans une énième réédition chez « Ultraletters »

UN PESSIMISTE SOUS LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE …

ChallemelUn écrivain qui, après avoir achevé son oeuvre, renonce à la publier, mérite notre sympathie. Ce fut le cas de Paul-Armand Challemel-Lacour dont les Études et réflexions d’un pessimiste furent éditées en 1901, soit cinq ans après sa mort. Sous un titre un peu austère, on découvre une galerie de portraits férocement désabusés : Leopardi, Chamfort, Heine, Schopenhauer, Swift, Pascal se côtoient dans une ambiance tamisée crépusculaire.

Des anathèmes contre le genre humain fusent de toutes parts, et la devise de ce joyeux groupe pourrait bien être celle de Schopenhauer : « Le bonheur est de ne pas naître. »

Cioran m’avait offert ce viatique dès la première visite que je lui rendis, un bréviaire pour âmes ulcérées, un réquisitoire contre le progrès, un éloge de la paresse, de la maladie et de la folie qu’il avait jugé bon de me confier.

Le destin de son auteur avait aussi de quoi intriguer. Challemel-Lacour prouve qu’il est possible d’embrasser le nihilisme sans pour autant être réactionnaire, que la lucidité la plus aigüe ne met pas nécessairement un frein à l’engagement, et même à l’engagement en politique. Brillant normalien, né en 1827 à Avranches dans une famille miséreuse, il avait goûté aux geôles du Second Empire avant d’être condamné à l’exil pendant sept ans pour avoir professé des idées républicaines. Exil fécond. C’est à Zurich, où il enseignait la littérature à l’École Polytechnique, qu’il traduit Leopardi et s’initie à la philosophie de Schopenhauer.

 

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La satisfaction du professeur

« Toute vie est une expiation ; toute forme étouffe son gémissement ». C’est là un extrait de ses écrits de jeunesse. Rien de surprenant dans la séduction qu’exerça sur lui le bossu de Recaneti qui se comparait à une grenouille vêtue de noir.

« Il ne me répugne pas d’interroger ceux qu’on interroge guère, les fous, les malades, les dédaignés, les calomniés ; aussi n’ai-je rien eu de plus pressé que de m’assurer si vraiment Leopardi avait été malade, et j’ai été, je l’avoue, satisfait au-delà de mon attente ; sa vie a été une longue torture, un enchaînement de souffrances sans nom ; j’ai trouvé là où je n’espérais qu’une maladie ordinaire, un malheur prodigieux ; et tant d’infortune m’a fait pressentir aussitôt tout un trésor inconnu de vérité. »

Mais Challemel-Lacour ne se borna pas à faire connaître Leopardi à ses compatriotes. Il les invita à le suivre à l’Hôtel d’Angleterre, à Francfort, pour dîner avec le diable, ou, si l’on préfère, avec Arthur Schopenhauer. Dans un article de la Revue des Deux Mondes, daté du 15 mars 1870, il raconte son pèlerinage à la Mecque du pessimisme et la soirée qu’il passa en compagnie du « vieil Allemand qui, d’ordinaire silencieux, trouva bon ce jour-là d’essayer sur moi l’enchantement satanique de ses raisonnement. »

L’article, intitulé « Un bouddhiste contemporain en Allemagne » eut un tel retentissement que l’on tint Challemel-Lacour pour responsable de l’épidémie pessimiste de la fin du siècle. « Chaque fois que les paroles de Schopenhauer me reviennent à l’esprit, racontait-il, un frisson que je connais bien me parcourt de la tête aux pieds, comme si un souffle glacé sortait de la porte du néant. »

Il n’avait pas seulement rencontré Schopenhauer à l’Hôtel d’Angleterre, mais Diogène et Pyrrhon.

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En 1869, Challemel-Lacour achève ses Études et réflexions d’un pessimiste.

Un an plus tard, après la chute du Second Empire, il participe activement à la reconstruction de la République. Il sera successivement député, ministre des Affaires étrangères et président du Sénat. Dans ses rares moments de liberté, il polit et repolit son livre. Ses amis et proches collaborateurs savaient que cet homme affable, dévoué aux causes les plus généreuses, était profondément désespéré, mais ils ignoraient l’existence de ce manuscrit.

Il y auraient découvert des pages fort drôles sur l’antipathie que suscitaient chez lui les hommes sérieux, les politiciens, mais surtout les philosophes qui écrivent sur la morale avec une plume pleine d’onction et des accents de prédicateurs des beaux quartiers. Toute la littérature pouvait être résumée, selon lui, à une dizaine de grands hommes, qui partagent la même aversion pour le sérieux. « Leur grand souci a été de tuer le temps, de tromper ou d’assoupir l’ennui qui les accablait. Quant à l’immortalité qui leur est échue, ils s’en moquaient. »

 

La haine de l’imprimerie

Pourquoi a-t-il renoncé à la publication de ses études ? Pour ne pas inoculer à la France vaincue le venin du nihilisme ? Parce qu’il jugeait vain de partager des idées dont il savait qu’elles étaient faites pour ne pas être entendues ?

Lui-même y a répondu, à sa manière, dans l’Oraison funèbre de son double, qui ouvre le livre:

« Il a toujours affiché une extrême aversion pour toute espèce de publicité… Je ne lui ai jamais vu le moindre prosélytisme. Était-ce mépris ou respect du public, je ne saurais le dire. Il détestait l’imprimerie et ne croyait pas qu’elle fût le salut de l’humanité. Au lieu de partager le juste enthousiasme que les bienfaits de cette sublime invention doivent inspirer, il la signalait comme l’ère de la décrépitude et comme ouvrant l’ère du plus triste et du dernier des âges, l’âge du papier. Depuis qu’on imprime, disait-il, nous ne faisons plus que nous entregloser ; et ce mot qu’il empruntait à Montaigne résumait tous ses dédains pour notre littérature de seconde main, pour la demi-science et la stérilité du génie que manifeste l’abondance des livres modernes. »

 

 

EMMANUEL MACRON, LE MICHEL DRUCKER DE LA POLITIQUE …

À la question : pourquoi Emmanuel Macron séduit-il tant les vieilles dames et les vieux messieurs, la réponse est claire. C’est le gendre idéal, le Michel Drucker de la politique. Avec lui, nous retrouvons Champs-Elysées et la mondialisation heureuse, une harmonie entre les peuples et les religions. Il ne veut de mal à personne. Il veut juste nous aimer. C’est un jeune séminariste, capable de citer Heidegger et Ricoeur, qui doit tout à son mérite et à sa famille modeste, mais honnête, prudente et fière de son rejeton. Il ne tient d’ailleurs pas être un élu en politique, mais l’Élu. La politique, il en a fait  l’expérience, c’est un peu sale et tordu pour un homme intègre et idéaliste comme lui. Son énergie, il la donne à la France pour qu’elle lui ressemble. C’est un mystique, peut-être un saint…qui sait ? Il a bien quelques aumônes à distribuer au bas-peuple : la suppression de la taxe d’habitation par exemple, mais enfin suivre son exemple, ce don total de sa personne, est la voie à suivre : chacun en tirera un bénéfice…au moins spirituel.

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Certains l’avaient décrit comme le candidat du grand Capital, d’autres comme un pervers susceptible d’embobiner à peu près n’importe qui avant de le trahir. Quelle erreur : un homme qui parvient à communier avec Robert Hue, François Bayrou et quelques libéraux bon teint ne peut pas être un filou. Un innocent peut-être, un idéaliste certainement qui croit que tous les hommes de bien sont de la même paroisse. Comment ne pas lui faire confiance ? Il s’entoure aussi de braves gens issus de la société civile et il chasse du temple tous les corrompus et corrupteurs qui depuis des décennies ont amené ce beau pays qu’est la France dans un cloaque. Une noble ambition que rien n’arrêtera et qu’il nourrit depuis son enfance. Nous brûlerons  un cierge ce soir à l’Eglise Saint-Sulpice pour qu’il triomphe des forces du Mal.

Après tout, nous aussi avons quelque chose de Macron en nous.

CIORAN SAISI AU VOL …

Je ne peux plus dire le mot « Moi » sans rougir de honte.

Je ne sais pas d’où vient cette haine de soi que je ressens. Elle peut avoir plusieurs sources. Je m’en veux de ne pas avoir été au bout de ma pensée. Avec chacun de mes livres, je n’ai fait que reculer l’heure de mon suicide.

*

Tout ce que j’écris, je l’écris dans des moments de désespoir. Surtout au milieu  de la nuit. La nuit, tout cesse d’exister. Il n’y a plus rien, à part vous, le silence et la nuit. On est aussi seul que Dieu peut l’être.

Paradoxalement, sans cette idée du suicide, je me serais certainement tué. C’ est la clé qui ouvre mon âme. Depuis mon enfance, j’ai  vécu tous les jours avec l’idée de la mort. Mon suicide était mon impératif catégorique. Et puis peu à peu, cette idée a perdu en intensité. Je me suis dit : « Tu es le maître de ta vie : tu peux te tuer quand tu veux. » Cela m’a aidé à supporter cette idée fixe. Mais elle ne m’a jamais quitté.

*

Évidement, je ne suis pas un homme très actif. La nature ne m’a pas donné une volonté de fer. Autrement, il y a longtemps que je me serais suicidé. À vrai dire, je suis d’une passivité extrême. Et j’ai peur de toute initiative. Chaque initiative me rend malade. La seule que j’ai, c’est une capacité extrême à dire « non »  ou à me défiler. J’aurais aimé être une pierre ou, à défaut, un animal.

Suis-je réactionnaire ? Peut-être par une nostalgie de la barbarie. Ce que j’ai de plus ancré en moi, c’est une négation absolue. On m’a reproché d’avoir été proche des fascistes dans ma jeunesse, mais ce ne sont pas leurs idées qui m’intéressaient, mais leur exaltation. J’étais totalement différent d’eux, mais leur pathologie me fascinait. Me fascinaient tout autant les Juifs. C’était l’autre part de ma nature. J’étais le seul non-juif à participer au Congrès Mondial juif  à Bucarest.

Tout ce qui est extrême dans l’existence a exercé sur moi une fascination sans borne. Un temps, ce fut le marxisme. Je l’ai vite délaissé : trop systématique, trop sérieux, trop dogmatique et sans humour.

Ma vision était toujours esthétique et pas politique du tout. Les Allemands n’avaient aucun sens de la nuance, ni du doute. C’est ce qui les a plongés dans une tragédie inouïe. Mais ça vaut toujours mieux que les Français qui sont irrémédiablement provinciaux.

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Hitler au hit-parade !

SON TUBE INTERNATIONAL « MEIN KAMPF » CARTONNE ENCORE

 

On oublie parfois qu’Adolf Hitler a été le premier rocker international, que son tube Mein Kampf a mis le feu au monde et qu’il figure encore au top ten de nombreux pays. Certains de ses admirateurs prétendent même qu’il ne serait pas mort au cours d’un festival pyrotechnique à Berlin, mais que, retiré au Paraguay, il préparerait un second succès international qui aurait pour titre Mes erreurs.  Mais ne nous fions pas trop à ses fans, souvent trop zélés, voire fêlés, qui ne veulent pas admettre que même les idoles meurent un jour de leurs excès.

Mein Kampf, rappelons-le, a été longuement élaboré dans la prison de Landsberg, en Bavière, où Adolf ayant commis quelques bévues politiques était incarcéré. Ce bad boy caressait moins sa guitare que l’idée d’un suicide qui laisserait de lui l’image d’un martyr. Ses co-détenus l’assurant qu’avec sa voix et la violence de ses textes il pouvait  conquérir le monde, il se laissa convaincre. Certain d’avoir une vocation artistique – il rêvait d’être peintre – il avait déjà eu l’excellente idée de changer son nom Schickelgruber  (qui signifie croque-morts) en Hitler, beaucoup plus rock and roll. « Heil Hitler« , que scandent  ses groupies, préfigure « Salut les copains !« , avec une touche gothique qui séduit les Allemands et des costumes Hugo Boss agrémentée de  têtes de mort qui font gothique chic.

Le succès de Mein Kampf ne se démentira pas. Aujourd’hui encore en Inde, en Turquie et dans les pays arabes, sans oublier la Mongolie, il est en tête des ventes. En Europe, où un vent mauvais d’antisémitisme et une guerre sans pitié ont rendu Mein Kampf  inaudible, il sera considéré comme un exemple de mauvais goût, voire d’incitation au meurtre et, à ce titre interdit. Le rendant, pour certains esprits faibles d’autant plus attirant. À titre personnel, je trouve stupide de l’avoir interdit ou publié en le criblant de notes, ce qui lui donne une valeur démesurée. Mein Kampf est un livre qui vous tombe des mains et qui aurait dû tomber dans l’oubli. Son histoire est parfaitement présentée dans l’ouvrage de Claude Quétel, Tout sur Mein Kampf.

Rappelons par ailleurs que le premier philosophe à avoir pris au sérieux dès 1934  la philosophie d’Hitler n’est autre qu’Emmanuel Levinas. Elle ėveille, disait-il, la nostalgie secrète de l’âme allemande. Il avait compris tout de suite que la volonté de puissance nietzschéenne que l’Allemagne moderne retrouvait et glorifiait n’était pas seulement un nouvel idéal, mais un idéal qui apportait en même temps sa forme propre d’universalisation : la guerre et la conquête.

Allant encore plus loin dans la ligne tracée par Levinas, Johann Chapoutot s’est plongé minutieusement dans la révolution culturelle nazie. Révolution qui nous ramène à la Grèce antique, à Platon, à Kant et à son impératif catégorique qui, non seulement rendent alors possibles, mais légitiment les crimes nazis. Contrairement à l’opinion commune, quand les hitlériens entendaient le mot « culture », ils ne sortaient pas leur revolver, mais leur stéthoscope ou leur craniometre pour redonner à une pensée antique perdue et à des principes politiques sains balayés par la Révolution française
leur droit qui n’était autre que le droit germanique, débarrassé de toutes les scories humanistes ou chrétiennes qui l’ont dénaturé. Les enjeux du nazisme étaient là et nul ne les a mieux décryptés que Johann Chapoutot.

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Claude Quétel  – Tout sur Mein Kampf  Éd. Perrin. 276 pages.

Johann Chapoutot – La révolution culturelle nazie Gallimard. 282 pages.