L’expérience de Milgram renouvelée …

L’expérience de Stanley Milgram, qui est née des atrocités de la Shoah et de son désir de comprendre comment elles avaient pu se produire, a été reproduite sous toutes les latitudes et avec les mêmes résultats, ce qui tend à prouver qu’il n’y a pas de civilisations plus cruelles que d’autres. En revanche, la soumission à l’autorité a un caractère quasi universel.

Récemment encore, une équipe de l’université de Varsovie a obtenu des résultats très proches en reproduisant fidèlement l’expérience de Milgram. Publiée dans la revue Social  Psychological and Personnality Science (mars 2017), l’étude montre que 72 des 80 participants ont infligé à leur  « victime » le niveau d’électrocution le plus élevé, soit 450 volts.

Louise Brooks + Pandora's Box + Act 8 7

La conclusion est limpide : l’homme préfère torturer que désobéir. En revanche, lorsque le niveau d’autorité faiblit, seule une personne sur quarante utilise le dernier curseur de 450 volts, ce qui confirme une hypothèse généralement admise par les psychologues et que chacun d’entre nous est en mesure de vérifier dans la vie courante : sur quarante personnes qu’on rencontrera, une seule se révélera véritablement sadique. C’est pourquoi Louise Brooks conseillait cyniquement à une amie de dorloter son mari marqué au sceau de la cruauté  car, ajoutait-elle, ils ne sont pas si nombreux les hommes véritablement cruels. Elle-même rêvait de mourir étranglée par Jack l’Eventreur…

Serge Doubrovsky et Jerzy Kosinski, monstres de l’autofiction

Le hasard auquel il convient de toujours laisser le dernier mot tant il fait bien les choses, m’a conduit à Serge Doubrovsky  (grâce à sa magistrale étude sur Corneille) et à Jerzy Kosinski après ma lecture de L’Oiseau bariolé pour mes vingt ans. Le premier est devenu un ami qui ne boudait pas la piscine Deligny, ni nos soirées dans les salons du Lutetia. L’autre aurait pu l’être  nous avons passé quelques soirées à Crans et j’ai pu remarquer qu’il était aussi un remarquable skieur et joueur de polo), mais il s’est suicidé précocement à New-York , en 1991, après avoir publié un dernier livre quasi talmudique  L’ermite de la 69ème rue (éd. Plon). Tout le monde se souvient ou devrait se souvenir de son conte voltairien,  Bienvenue Mister Chance, porté au cinéma par Hal Ashby ( 1979 ) avec le génial Peter Sellers. Cet aventurier semant les scandales partout où il passait, a fait de sa vie une fiction et de ses fictions la matière de ses livres.

Serge Doubrovsky l’a croisé à New-York. L’universitaire et le flambeur. Deux monstres de l’autofiction côte à côte. Impensable. Ils ne pouvaient que s’ignorer. Ils l’ont fait. Un grand classique dans l’histoire de la littérature. Et voici que Serge Doubrovsky, au crépuscule de sa vie, nous livre lui aussi un ouvrage fascinant et illisible de deux mille pages. Du Doubrovsky pur jus. Sans début, ni fin. Avec une tonalité qui ne ressemble à rien et une écriture hachée et harcelante qui bouleverse à chaque page nos habitudes de lecteur trop sages. Pour faire bref, La recherche du temps perdu dynamitée, du Proust anti-Proust.

Serge Doubrovsky a toujours rêvé d’être « du malheur un modèle accompli ». Il l’est plus que jamais dans ce Monstre, notre uxoricide préféré. On ne devrait jamais lire que des monstres : ils sont les seuls à voir les choses telles qu’elles sont.

 

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Serge Doubrovsky a trouvé le chemin menant au bon côté de l’existence, s’il en est un, dans la nuit du 22 au 23 mars. Nos pensées l’y accompagnent. 

THOMAS SZASZ, MON MAÎTRE ET AMI …

Au terme de sa vie, Thomas Szasz soutenait que nous sommes entrés dans une nouvelle ère. À la théocratie et à la démocratie a succédé la « pharmacratie » ou, si l’on préfère, le règne de la médecine et des médecins. Cette dictature de la santé ne connaît guère d’opposants et Szasz était plutôt pessimiste : « Après  avoir vaincu les deux grands étatismes du vingtième siècle, le national-socialisme et le communisme, nous sacrifions notre liberté sur l’autel du droit à la santé. » Il était évidemment contre les réformes du système de santé proposées par Obama et il aurait applaudi à leur abolition par Donald Trump. Entre libertariens, on se reconnaît.

 

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Thomas Szasz se défiait de la tyrannie du bien. Et c’est pourquoi, bien que professeur de psychiatrie, il n’avait cessé de mettre en garde ses étudiants et ses lecteurs contre le pouvoir coercitif et arbitraire d’une discipline qui multipliait les « diagnostics » en donnant à tous les comportements hors normes le nom de maladies. « Aucun système de santé universel, soutenait-il, ne mérite qu’on lui sacrifie notre liberté. » Et il retrouvait alors le Thoreau de Walden qui se défiait de la tyrannie du bien. « Si je tenais pour certain qu’un homme soit venu chez moi dans le dessein de me faire du bien, je chercherai aussitôt mon salut dans la fuite. Il n’est pas d’odeur aussi nauséabonde que celle qui émane de la bonté. » Je me garderai bien de vous expliquer pourquoi. Vous en ferez tous un jour l’expérience.

Thomas Szasz ne faisait que reprendre les remarques prophétiques et aujourd’hui inaudibles de Tocqueville sur ce « pouvoir immense et tutélaire, absolu, détaillé, régulier et doux » qui est la forme de despotisme propre aux régimes démocratiques. Une sublime prophétie de Goethe le mettait en joie : « Je crois que l’humanitarisme finira par triompher, mais j’ai peur en même temps que le monde ne devienne un grand hôpital dans lequel chacun agira comme l’infirmière charitable d’autrui. » Ou encore cette citation de Chesterton : « L’homme libre s’appartient à lui-même. Il peut porter atteinte à sa propre personne par les drogues. Il peut se ruiner au casino. S’il le fait, il est certainement stupide et se condamne très probablement. Mais si on le dissuade de le faire, il est encore moins libre qu’un chien. »

Aujourd’hui qui oserait, à moins de passer pour un cinglé, élever la moindre objection contre le no smoking, le port obligatoire de la ceinture de sécurité ou celui du casque en moto ? Et pourtant, sans en être conscient, chacun court à sa mort avec une détermination farouche. C’est même ce qui lui confère sa grandeur ? Faut-il l’en priver ?

 

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