30 septembre 1964
L’accusé ressemble à Clark Gable : trapu, bronzé, moustachu, solide et en bonne santé, des cheveux lisses tirés en arrière.
En fait, Ernest S., ancien gendarme, nous vient d’Autriche. Il s’est également occupé d’un commerce de photographie à Vienne. Ce n’est qu’en 1956 qu’il gagne la Suisse avec sa femme. Il s’installe à Lausanne et entreprend de travailler dans un garage. Il est capable et travailleur. Il sera bientôt nommé chef réceptionniste, avec un salaire de 950 fr. par mois.
Ernest S. a toujours donné satisfaction dans son travail ; mais on le dit étourdi et insouciant, dépensier aussi.
Voitures d’occasion
Comment se fait-il que cet ancien gendarme, apparemment honnête, m rié et père de deux enfants, se trouve aujourd’hui inculpé d’escroquerie par le Tribunal correctionnel de Lausanne ?
La réponse dans le cas précis n’est pas trop compliquée : Ernest S. n’avait aucun sens des affaires et, pourtant, il voulait gagner de l’argent. Gagner plus que sa paie mensuelle qui lui suffisait à peine. Employé dans un garage, il n’ignorait pas les «mirobolants bénéfices» que l’on peut réaliser sur la vente de voitures d’occasion. D’autres y réussissaient sans peine. Pourquoi pas lui ?
Il entreprit alors de demander des avances à des habitants de son quartier ou à des clients de son garage en leur faisant miroiter de jolies som mes gagnées sans difficultés. Il jouait le rôle d’intermédiaire. Alléchés par l’appât d’un gain facile, les connais sances d’Ernest S. lui prêtèrent ce dont il avait besoin. Parfois elles furent remboursées. Le plus souvent, l’argent disparaissait sans laisser de traces : 52 100 fr. ont été ainsi escroqués.
27 apéritifs par jour
Ernest S. a spontanément tout avoué. Sa situation financière allait en empirant. Sa femme était souffrante. Il avait lui-même pris goût à une vie plus luxueuse. Ne raconte-t-il pas qu’il dépensait près de 1000 francs d’argent de poche par mois ?… Il s’était, en outre, mis à boire : 27 apéritifs par jour, paraît-il. Maintenant, Ernest S. n’a plus un centime, plus rien. Si l’on ajoute qu’il a été lui-même victime d’un filou dans l’une de ces « fameuses affaires», on aura dit l’essentiel.
Le moins qu’on puisse dire
Le tribunal est présidé par Pierre Gilliéron, assisté des juges Ethenoz et Genton. Les plaignants — nombreux — n’étant pas présents (à l’exception d’un seul) l’audience sera brève. Le président interroge :
— C’est exact que vous aviez commencé à boire ?
— Oui, mais pas 27 apéritifs par jour.
— Chaque fois que vous aviez fait une affaire à perte, vous étiez obligé de recommencer : c’était un cercle vicieux…
— Oui, j’étais perdu… j’étais dans une situation financière abominable… alors je me suis lancé dans cette « c… »
— C’est bien le moins que l’on puisse dire…
Un mauvais souvenir
Ernest S. assure lui même sa dé fense. L’avocat d’office ne lui convenait pas. Quant à celui qu’il s’était choisi, il demandait des honoraires exorbitants. Le président lui demande:
— Qu’avez-vous à ajouter pour votre défense ?
— Je regrette tout cela. Je ferai mon possible pour tout rembourser… Il dit vrai. Chaque fois qu’il l’a pu, il s’est efforcé de rendre une partie de l’argent emprunté, mais emporté dans un tourbillon de dettes, mal conseillé, il a suivi une spirale fatale.
Ce que demain sera pour lui, nous ne le savons pas. Mais nous ne pensons pas qu’il soit un homme à accabler. Il pourrait, si les circonstances lui sont favorables, terminer sa vie comme il l’a commencée : fort honnêtement. L’épisode de Lausanne ne sera peut-être, un jour, plus qu’un mauvais souvenir…
Au terme du procès
L’accusé, Ernest S., est condamné à deux ans de réclusion, déduction faite de 119 jours de préventive, pour escro querie et abus de confiance.
Il est également expulsé de Suisse pour dix ans.
Ce jugement est des plus sévères. Peut-être parce qu’Ernest S. est d’origine étrangère.
De toute manière, je crois qu’il était inutile de l’«assommer ». Il aura bien de la peine à s’en remettre…
Mesquinerie des tribunaux vaudois. Votre tableau est très bien brossé. Comment se fait-il que vous fassiez la chronique judiciaire locale? Comme ça, pour changer un peu? Ou étaient-ce vos débuts? Vous avez commis là un petit chef-d’œuvre de moraliste.
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Merci ! J’avais vingt ans et je faisais tout et n’importe quoi pour Le Peuple, le quotidien du Parti socialiste !
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