Charles Bukowski – explosé au premier souffle

de plus en plus à court de jours

alors que la rampe d’escalier luit

au premier soleil du matin.

il n’y aura plus de repos

même dans nos rêves.

à présent, tout ce qu’il reste à faire c’est de

recomposer

les instants brisés.

quand même exister semble une

victoire

notre chance sûrement est alors

devenue mince

plus mince qu’un flux sanglant

vers la mort.

la vie est une chanson triste :

nous avons entendu beaucoup trop de

voix

vu beaucoup trop de

visages

beaucoup trop de

corps

le pire ça a été les visages :

une sale blague que personne

ne peut comprendre.

des journées barbares absurdes se totalisent

sous le crâne ;

la réalité est une orange

sans jus.

il n’y a aucun plan

aucun dehors

aucune divinité

aucun moineau de

joie.

on ne peut comparer la vie à

rien – c’est

une perspective trop

monotone.

relativement parlant,

on n’a jamais manqué de

courage

mais, au mieux, nos chances

sont restées faibles

et

au pire,

immuables.

et ce qui a été le pire :

non pas que nous les ayons

gaspillées

mais qu’elles aient été

gaspillées

sur nous :

sortant de

la Matrice

piégés

dans la lumière et

l’obscurité

accablés et transis

seuls dans la zone tempérée d’une

souffrance débile

aujourd’hui

de plus en plus à court de jours

alors que la rampe d’escalier luit

au premier soleil du matin.

 

 

embrace

 

 

Inédit en français, extrait du recueil « The Last Night of the Earth Poems» (2002).

Copyright Yves Sarda pour la traduction française.

Le romantisme de la putain

À l’opposé du timide et puritain Henri-Frédéric Amiel, nous trouvons Cioran qui, adolescent déjà assimilait la femme au Rien – et même au moins que rien. Il est vrai que sa lecture de Weininger (Sexe et Caractère) n’avait pas contribué à tempérer sa misogynie. Si la jeune fille n’est qu’une fiction, un zéro incarné, pourquoi ne pas dériver plutôt vers ce romantisme de la prostitution tellement en vogue dans la Mitteleuropa ?

 

 

Il racontait volontiers que sa vie d’étudiant en Roumanie s’était déroulée sous le charme de la Putain. Otto Weininger, ajoutait-il, en me fournissant les raisons philosophiques d’exécrer les femmes m’avait guéri de l’amour. À Paris, il lui arrivait parfois de regretter le fou qu’il avait été dans sa jeunesse. Je doute qu’il ait fait part à Simone Boué, la femme de sa vie, de ses regrets. 635806075528344828-louise-brooks-2

 
Amiel se lamentant de la misère de sa vie sexuelle, Cioran éprouvant la nostalgie des maisons closes de Sibiu, il m’arrive de me demander ce qui me fascine, moi qui n’ai connu dans les années soixante ni les bordels, ni les frustrations d’Amiel dans le récit de leurs déboires ou de leurs exaltations. Sans doute est-ce, outre leur génie littéraire, cette magie de l’extrême qui seule peut métamorphoser un individu quelconque en un écrivain qui soit plus qu’un littérateur ou, pire encore, un intellectuel. Mon seul regret est d’être demeuré trop raisonnable, trop bien élevé comme disait Cioran quand il me taquinait, pour n’avoir pas connu les cimes du désespoir ou les gouffres de la mélancolie.

 

 

Je tâcherai de faire mieux une prochaine fois.

Le Titanic ne fera plus jamais naufrage…

Pierre Bayard attribue aux écrivains un don de voyance…

Avec un essayiste aussi talentueux que Pierre Bayard, le Titanic est encore promis à un bel avenir : peut-être pas pour ses passagers, mais pour les romanciers qui décrivirent, bien avant son naufrage, et avec un luxe de détails inouïs, l’ampleur de la catastrophe. Ce fut le cas, notamment, de Morgan Robertson dans son roman :  » Futility  » dont la lecture amena Pierre Bayard à se demander si les grands écrivains n’ont pas un don de prophétie : Kafka par exemple, ou Werfel ou Zamiatine, voire Houellebecq. Et si tel était le cas, pourquoi personne parmi ceux qui détiennent une forme de pouvoir, ne se soucie-t-il de la capacité annonciatrice de la littérature.

Mais des objections viennent immédiatement à l’esprit. La première tient à une forme de coïncidence, troublante certes, mais finalement assez banale. La seconde à la loi dite de Murphy qui décrète  que tout ce qui est susceptible de mal tourner s’achève inévitablement mal. En prévoyant le pire, on est assuré de ne jamais se tromper…. Tout au moins à long terme.

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L’originalité et l’humour du livre de Pierre Bayard tiennent à ce qu’il repose toujours sur des exemples précis et inattendus comme celui de ce journaliste féru de parapsychologie qui embarqua sur le Titanic dans le seul but de vérifier ses intuitions et ses prédictions publiées six mois auparavant. Il fut sans doute un des rares passagers à éprouver  un soulagement en assistant au naufrage du Titanic.

Pierre Bayard suggère que les écrivains ont une fonction d’éveil  parce qu’ils acceptent de voir et de ressentir avec un temps d’avance ce que à quoi leurs contemporains ne tiennent pas à être confrontés. En sa compagnie, nous naviguons entre des  icebergs qui ont pour noms : psychanalyse, parapsychologie, histoire littéraire et politique. Il nous offre un voyage palpitant, toujours inattendu et sans le moindre danger, à moins bien sûr que nous ne soyons saisis pendant notre lecture par cette folie des grandeurs, cette  » hubris  » contre laquelle les Grecs, ceux d’autrefois, mettaient en garde les mortels. Il est vrai que sans cette  » hubris  » il n’y aurait peut-être pas non plus de littérature qui vaille.

Pierre Bayard. Le Naufrage du Titanic . Éd. de Minuit. 16 Euros. 170 pages.

Article paru dans le numéro d’octobre du Service Littéraire