L’hypnose, entretien avec Léon Chertok (1/2)

Réalisé pour Le Monde en février 1980

 

L’hypnose est un sommeil artificiel provoqué généralement par un hypnotiseur qui disposerait de la volonté du sujet qui s’est abandonné à lui. Par ce qu’elle recèle de mystérieux sur le plan tant physiologique que psychologique, elle n’a cessé depuis deux siècles d’être au coeur de débats scientifiques et d’intrigues romanesques.

Il s’agit d’une technique connue et utilisée depuis des temps immémoriaux qui constitua sans doute une part importante de l’art de guérir tel qu’il était pratiqué par les sorciers, les guérisseurs et les chamans. En Europe, les grands chapitres de l’histoire de l’hypnotisme sont bien connus: Mesmer et son baquet, le marquis de Puységur et le sommeil hypnotique, les travaux de Braid en Angleterre, les découvertes de l’école de Nancy, le rôle essentiel qu’elle réservait à la suggestion, son opposition à la Salpêtrière dont le grand maitre, Charcot, refusait de dissocier hystérie et hypnotisme. Malgré le déclin de l’hypnotisme dans sa pratique, remplacé par des méthodes thérapeutiques suggestives diverses – et d’une certaine manière par la psychanalyse – l’intérêt qu’il suscite chez les spécialistes comme les profanes ne se dément pas.

Le docteur Léon Chertok (1911 – 1991) fut l’un des meilleurs connaisseurs de l’hypnotisme en France. Il le pratiqua notamment à l’Institut de psychiatrie La Rochefoucauld.

 

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RJ – L’hypnose apparait souvent comme une mystification, comme une pratique pour réunions foraines, d’où vient que vous vous y soyez intéressé ?

LC – Ne disons pas trop de mal des spectacles de foire. Après tout, c’est pour avoir assisté à de tels spectacles que des auteurs comme Braid, Charcot et Freud ont vu leur attention attirée vers les phénomènes hypnotiques. Ce qui me parait étonnant, c’est que l’on puisse, aujourd’hui encore, poser ce genre de question. Pour peu qu’on connaisse l’histoire de la psychothérapie, on ne peut qu’être intéressé par l’hypnose. Ne fût-ce que parce que la psychanalyse en est directement issue. En ce qui me concerne, j’avais eu l’occasion d’entrer en contact avec la technique hypnotique au cours de mes études de médecine à Vienne dans les années 1930. Mais, surtout, quinze ans plus tard, alors que j’étais à Paris au début de ma carrière de psychanalyste, je me suis trouvé en présence d’un cas d’amnésie. Un peu au hasard, je dirais en désespoir de cause, je me suis souvenu de l’hypnose. À mon grand étonnement, il a suffi d’une séance pour que l’amnésie disparaisse. Disons que je ne me suis jamais remis de ce succès thérapeutique.

 

 

RJ – L’hypnose peut aller d’une transe très légère au somnambulisme. Pourriez-vous nous dire quels sont les critères de l’état hypnotique ? Observe-t-on chez l’hypnotisé des modifications d’ordre physiologique ?

LC – Une des principales difficultés du problème de l’hypnose vient de ce qu’il n’y a pas à l’heure actuelle de critère objectif, physiologique, de l’état hypnotique, comme il en existe par exemple pour le sommeil. Cela ne veut pas dire que ces critères n’existent pas. Peut-être ne disposons-nous pas des instruments adéquats pour les mesurer. Nous ne pouvons que nous baser sur des données subjectives: le sentiment qu’a le sujet de se trouver dans un état de conscience différent, qui se traduit en particulier par des modifications du vécu corporel, du sentiment du temps et des espaces. Ces modifications peuvent prendre des formes variées, l’important est qu’il s’opère une distorsion par rapport au vécu habituel du sujet.

Un autre aspect, dans lequel on a longtemps voulu voir la caractéristique principale de l’hypnose, est la suggestibilité. C’est là une question extrêmement complexe, qu’il est difficile de résumer en quelques mots. En effet, il est vrai que l’on peut provoquer par suggestion hypnotique toutes sortes de phénomènes: hallucinations, modifications du comportement et même des modifications d’ordre physiologique – action sur la douleur (j’ai eu personnellement l’occasion de provoquer à deux reprises une anesthésie générale sans aucun adjuvant chimique, pour des opérations chirurgicales), sur la motricité (paralysies), des altérations tissulaires (brûlures), etc. Le sentiment d’être « téléguidé », passif, de ne plus avoir de volonté propre, fait souvent partie du vécu de l’expérience.

Pour autant, on ne saurait faire de la suggestibilité un critère de l’état hypnotique. Celle-ci n’est pas forcément proportionnelle à la profondeur de la transe et existe, d’ailleurs, également à l’état de veille.

Disons que l’hypnose est un état psycho-physiologique qui favorise, entre autres choses, ce que nous avons appelé une certaine « plasticité psychosomatique ». La suggestibilité désigne une aptitude à être influencé, de façon plus ou moins consciente, par des stimulations venues de l’extérieur. Les deux phénomènes se recoupent mais ne se recouvrent pas.

 

 

RJ – Comment faire la différence, dans le domaine de l’hypnose, entre pseudo-science et science réelle ?

LC – Les écrits naïfs ou charlatanesques sur la vie antérieure, les réincarnations, les dédoublements, force est de constater qu’ils sont légions. Mais je laisse le soin aux épistémologues de faire le tri.

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