6. Freud entre en scène…
Après avoir écouté les explications de Wagner-Jauregg, le président de la Commission demande à entendre l’expert officiel : Sigmund Freud. Ce dernier est plutôt embarrassé : il tient à la fois à ne pas charger son ancien ami et à se démarquer des pratiques de son confrère. Autant vouloir résoudre la quadrature du cercle. Il commence par reprocher à Wagner-Jauregg d’étendre un peu trop le cadre de la simulation. Il feint de s’interroger : « Est-ce au psychiatre de jouer le rôle de mitraillette à l’arrière du front, rôle qui consiste à refouler les fugitifs », même si c’est ce qu’attend de lui l’administration militaire ? Bien des médecins, précise-t-il, ont abusé à cette occasion, non sans cruauté, de leur puissance.
Mais il ajoute aussitôt que ce ne peut être le cas de Wagner-Jauregg : il le connaît depuis trente cinq ans et sait que « le sentiment humanitaire est pour lui le moteur du traitement des malades. » Karl Kraus, le pourfendeur de l’hypocrisie viennoise, qui suivait le procès, n’a pas manqué de ricaner.
En fait, pour Freud, l’erreur de Wagner-Jauregg n’est pas d’avoir posé un diagnostic hâtif et, selon toute vraisemblance, erroné, ni même d’avoir soumis le lieutenant Kauders à des traitements qu’il juge certes pénibles (lui-même a pratiqué l’électrothérapie), mais bien d’avoir ignoré la psychanalyse et de ne pas s’en être inspiré dans ses thérapies. Ce à quoi Wagner-Jauregg a beau jeu de répondre : « Aucun simulateur ne vient se faire traiter chez le professeur Freud, tandis que, dans ma carrière, j’ai eu de nombreuses occasions de traiter les simulateurs. De plus, j’ai eu au cours de la guerre de riches expériences qui ont fait défaut au professeur Freud. »