Clément Rosset, Cioran et les talons aiguilles…

Une lettre de Clément Rosset…

 

Cher RJ, 

 

Bravo pour ton livre. C’est un petit vent frais qui balaie les miasmes de la bêtise ambiante. Nous n’avons jamais été de la même humeur, mais je souscris 20/20 à tous tes jugements et appréciations. C’est d’ailleurs ce que je disais à Cioran le rare jour où nous avons causé (2 minutes) philosophie… Je lui avais dit: « vous savez que je pense exactement le contraire de ce que vous pensez. Et cependant, je suis d’accord avec tout ce que vous écrivez. »

Il m’avait répondu, consterné: « Comment faire autrement ? C’est la vérité. »

 

Amitiés,

 

Clément

 

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Le Manifeste du Parti Communiste aux yeux de l’Histoire…

Marx-et-Engels

 

On dit toujours et un peu vite – parfois dans le dessein louable de dissuader un auteur – qu’un livre ne saurait ni changer le monde, ni même provoquer la moindre révolution. Il est pourtant édifiant de se livrer quelques secondes à l’exercice consistant à lister les ouvrages que l’on trouvait volontiers dans la poche ou sur la table de chevet des acteurs de l’Histoire. Nul ne saurait nier l’influence des Évangiles sur la christianisation brutale de l’Amérique du Sud. On trouve dans Mein Kampf le programme du régime nazi, dans le Coran de quoi proclamer un califat et faire la guerre à l’Occident. Le Petit Livre Rouge est l’instrument de propagande de la Révolution culturelle chinoise, le Livre Vert celui du régime de Kadhafi. Doit-on ajouter à cette liste le Manifeste du Parti Communiste ? Doit-on tenir l’opuscule de Marx et Engels pour responsable des victimes des dictatures communistes ?

Pour André Sénik, la réponse est oui. La France a pourtant toujours rechigné à ranger le communisme dans la même boite que les autres totalitarismes: si André Breton s’inquiétait en 1949 d’une possible faille dans les belles intentions du Manifeste, si Rousseau, dans le Contrat Social loué par les marxistes, prévenait qu’une interdépendance absolue de chacun et de tous créerait une société où les individus sacrifient leur liberté, le philosophe adulé par l’École Normale aujourd’hui, Alain Badiou, défend toujours mordicus que le régime maoïste ne fut pas la catastrophe que l’on prétend et déclare que si le projet communiste a foiré une première fois, c’est qu’on n’a pas assez tendu l’oreille aux idéaux de Marx, et qu’il faut donc refaire une tentative ! On croirait entendre – toutes proportions gardées – nos dirigeants affirmant que pour sauver l’Union Européenne du scepticisme envahissant ses peuples, il faut leur infliger « plus d’Europe ».

Heureusement, sous d’autres latitudes l’équation est plus simple, et l’a toujours été. En 1919, Freud qui avait réagi en « vieux réactionnaire » à la révolution russe racontait avoir rencontré un fervent communiste. Ce dernier lui avait dit que l’avènement du bolchevisme amènerait quelques années de misère et de chaos, mais qu’elles seraient suivies de la paix et de la prospérité universelles. « Je lui ai répondu que je croyais à la première moitié de ce programme » rapporte-t-il.

Nombreux sont ceux qui virent immédiatement que sous couvert du bel idéal d’égalité entre les hommes, le communisme prévoyait une restriction totale des libertés individuelles, car selon le projet énoncé par Marx lui-même, cette idéologie a pour but la suppression de la propriété privée et de l’(idée bourgeoise d’) individu. Notons qu’il s’agissait aussi, par les mêmes raisonnements, de « rendre le juif impossible ». Le pendule oscille toujours entre liberté et égalité, entre libéralisme et égalitarisme, mais concilier les deux est impossible, quels que soient les masques portés par les idéologies. Même si celui du communisme paraissait séduisant et que le lyrisme apocalyptique du Manifeste exerce une séduction irrésistible sur les jeunes esprits, la raison veut aussi que l’on s’en éloigne une fois intériorisée cette vérité: on ne fait pas le bonheur d’autrui contre son gré, autrement dit, tout ce que l’on fait pour autrui se retourne immanquablement contre soi.

Ainsi, à Marx qui lui demandait son appui en France en vue de la révolution imminente, Proudhon, réservé, écrivit: « je fais profession d’un anti dogmatisme économique, presque absolu » et plus loin, « ne nous faisons pas les chefs d’une nouvelle intolérance ». Toute correspondance cessa ici entre les deux hommes.

Le dogmatisme était en effet inscrit dans les gènes philosophiques du Manifeste, Marx se rêvant en nouvel Hegel. Il y développe une conception de l’Histoire linéaire et progressiste dont l’accomplissement adviendra avec la dictature du prolétariat. C’est le contraire d’une pensée sceptique à laquelle souscrivaient Freud et ses camarades viennois, d’une vision de l’Histoire circulaire et redondante dans laquelle le progrès n’a aucun sens. Par son dogmatisme, par sa conception de l’Histoire téléologique, menées par des forces indépendantes de la volonté humaine auxquelles celle-ci doit s’asservir ou mourir, le Manifeste fait figure de bible pour une religion séculière. À ce titre, nous ne renierons pas – mais lui ajouterons la foi de l’actualité – la formule de Jules Monnerot: « Le communisme est l’islam du XXème siècle ».

À partir de ces constats préliminaires, Senik déroule le fil de sa leçon et force le Manifeste, ses partisans et son auteur (Engels étant relégué au second rang) à cracher le morceau, selon la vieille blague soviétique rapportée par le Prix Nobel de littérature Svetlana Alexievitch: « Un communiste, c’est quelqu’un qui a lu Marx, un anticommuniste, c’est quelqu’un qui l’a compris. »

Sur la suppression de l’individu au profit de sa classe, il montre comment Merleau-Ponty en est arrivé à justifier les procès de Moscou: même si l’on n’est pas coupable à titre individuel, le Parti ne peut se tromper, le cours de l’Histoire commande son triomphe, il faut donc tendre les bras aux fusils. Face à de telles déclarations, Arthur Koestler ne s’est pas privé d’un diagnostic rapide: « le dialogue logique devient impossible et l’on doit céder la place à la psychothérapie ». Nous ne le désavouerons pas.

La rhétorique de Marx maquille en bonnes intentions des velléités liberticides et l’aveu de son propre échec. Ainsi de l’organisation du travail: lorsque celui-ci n’est plus synonyme de la recherche d’un profit personnel, le camp de travail forcé s’impose car la seule bienveillance des hommes ne les conduit pas à se tuer à la tache. C’est évident, et Marx avait prévu le goulag au nombre des mesures à prendre pour que le prolétariat s’approprie les outils de production. Marx avait également prévu les dénonciations des parents par leurs propres enfants en écrivant que la famille est un lien bourgeois qu’il faut détruire…

Finalement, lorsque l’on soumet le Manifeste à la grille de lecture des totalitarismes élaborée par Raymond Aron, les critères fondamentaux des régimes totalitaires (monopole du pouvoir à un seul parti, armé et détenteur d’une Vérité officielle, qui se réserve l’ensemble des moyens de communication; soumission à l’État de toutes activités économiques au sein desquelles, en conséquence de cette étatisation, toute faute professionnelle devient une faute politique) sont remplis, tous les voyants sont au rouge, sans mauvaise blague.

À la guerre comme à la guerre, puisque c’est de cela qu’il s’agit, malheur à qui aura raison trop tôt ou trop tard. Senik cite le terrible mot de Manya Schwartzmann, jeune juive révolutionnaire, partie de Bessarabie et disparue en Ukraine dans les grandes purges staliniennes, qui envoya avant de disparaitre un dernier message à ses proches: « Ne venez pas. Nous nous sommes trompés. »

Mais qui a trompé qui ? Qui s’est laissé berner ? Le cocktail de bons sentiments et d’une rhétorique exaltée cachant à la fois ses buts et ses moyens a semé le trouble durablement dans les esprits et le chaos dans le monde entier: « L’imprégnation marxiste explique bien des impasses de la pensée politique contemporaine ».

Parce qu’il semble vouloir, malgré tout et malgré lui, le bien du peuple, le communisme est traité différemment des autres fascismes. Ce constat est souvent dressé, nous le retrouvons dans la bouche de Mario Andrea Rigoni, traducteur de Cioran, interrogé sur les affinités de ce dernier avec le fascisme roumain: « il faut rappeler que, dans les mêmes années et jusqu’à une date très récente, la majorité des intellectuels européens, s’ils n’étaient pas fascistes, étaient communistes (…). Avoir été communiste n’est pas moins grave qu’avoir été nazi ou fasciste; avoir voué un culte à Lénine ou à Staline n’est pas moins déshonorant qu’avoir adulé Hitler. »

L’Histoire, qui semble avoir une fâcheuse tendance à donner tort aux marxistes et autres tenants du progressisme, nous confronte régulièrement aux totalitarismes. Savoir les reconnaître avant qu’il ne soit trop tard est le défi qui attend chaque génération, ou à défaut de guerre à se mettre sous la dent, ne pas avoir l’insolence de nier des tas de cadavres. Si, en tirant la leçon de la formule de Jules Monnerot, l’islam est le communisme du XXIème siècle, il est temps de quitter confort et certitudes pour livrer à nouveau bataille.

 

André Senik, Le Manifeste du Parti communiste aux yeux de l’histoire – Pierre-Guillaume de Roux.

Jean-Luc Mélenchon, un bonimenteur chez Ruquier…

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Jean-Luc Mélenchon a parfaitement pigé qu’à la la télévision le rythme est tout et que le sens n’est rien. Un client idéal pour une émission comme On n’est pas couché  où, tel un bonimenteur, il lui faut vendre sa camelote avant que la maréchaussée n’intervienne. Avec ses airs de vieux boy-scout et d’animateur du Club Méd., Jean-Luc tient la dragée haute à quiconque l’interrompt, fait jouer le rôle d’Angela Merkel à Pascal Obispo, retient son émotion quand il évoque la mort précoce d’un de ses amis et n’est jamais en reste quand il s’agit de dégommer le parti au pouvoir. Bref, il assure le spectacle, se payant même le luxe de venir à bout du sérieux de la vie avec des effets de scène qui tiennent de l’opérette autant que de Shakespeare. Ã ceux qui n’ont pas de vie intérieure, il en offre une. À ceux qui sont dans le doute ou l’angoisse, il propose des solutions simples, mais efficaces qu’on serait prêt à adopter si, une fois dégrisés, on ne préférait retrouver le confort de sa cellule individuelle.

À titre personnel, bien sûr, j’adhère aux idées de Jean-Luc Mélenchon que je vais énoncer en vrac : une vraie alliance militaire avec Poutine, une destruction sans pitié de l’Etat Islamique, le refus de toute allégeance avec l’Arabie Saoudite et le Qatar, la sortie  de l’Euro, la création d’une monnaie universelle telle que la préconisent les Chinois pour ne plus dépendre du dollar, des plans pharaoniques pour développer les ressources des Océans, une sixième République où la société civile, à travers le droit d’initiative et le référendum, aurait constamment et à tous les niveaux son mot à dire, un accueil généreux pour les réfugiés, mais simultanément, une politique étrangère qui s’attaquerait aux causes de cet afflux de migrants et non à leur conséquence. Et des mots qui font rêver comme Insoumission, Indépendance et, surtout, Peuple. Ce peuple français dont on avait oublié jusqu’à l’existence. Et, enfin, même si cela déplait, se résoudre à moins consommer, à ne pas vouloir toujours plus. Bref, small is beautiful, pour revenir au slogan des années soixante.

Quand on lui fait remarquer qu’il n’est pas toujours très loin de Marine Le Pen, il rétorque que c’est elle qui lui a piqué ses idées. Populisme de gauche contre populisme de droite ? La question ne se pose même pas, car vient toujours le moment où l’acteur du jeu politique doit passer à la caisse et aucun ne résiste à l’épreuve de la réalité. Une position intenable est ce vers quoi tout le monde se rue, à commencer par les candidats à la fonction présidentielle. Le temps de l’euphorie passée, pour eux comme pour ceux qui les ont soutenus, débute le chemin de croix. Personne n’y échappe et chacun finit crucifié. Certains pensent, et c’est sans doute le cas de Mélenchon, que l’espoir fait vivre. Le temps d’une émission de télévision ou d’un meeting politique, sans doute. Après, à moins d’avoir un narcissisme en béton, on ne sait que trop que tous nos actes ne seront jamais que des coups de dés dans la nuit noire du hasard.

Montaigne, l’art de bien vivre et de bien mourir

Que sont les Essais de Montaigne, sinon la tentative d’être à soi-même son propre voleur ? Pensées volées, masques arrachés : ce que Montaigne revendique, c’est une authenticité totale dans la relation de soi à soi, sans médiation d’un Dieu ou d’une Église, contrairement à saint Augustin, son prédécesseur.

En cela, Montaigne préfigure l’homme existentialiste moderne avec toute sa fluidité, sa véracité et son absurdité innées. Sainte-Beuve l’avait parfaitement pressenti : « Il y a un Pascal en chaque chrétien, de même qu’il y a un Montaigne dans chaque homme purement naturel. »

 

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Authenticité de Montaigne, mais aussi approfondissement constant de l’expérience de soi sur un chemin qui, trois siècles plus tard, aboutira à Freud. Avec ses Essais, Montaigne a mis en œuvre le tout premier ouvrage d’introspection profane, ouvrant ainsi un nouveau chapitre de la psychologie. Mais peu dupe de lui-même – et par là aussi il est notre contemporain -, il a conscience de la « vanité » qu’il y a à devenir le témoin de sa propre vie : « Si les autres  se regardaient attentivement, comme je le fais, ils se trouveraient, comme je le fais, pleins d’inanité et de fadaise. De m’en défaire, je ne puis sans me défaire de moi-même. Nous en sommes tous confits, tant les uns que les autres. Mais ceux qui le sentent en ont encore un peu meilleur compte, encore ne sais-je… »

« Encore ne sais-je… » : expression admirable qui résume tout Montaigne. Stefan Zweig, dans sa biographie de Montaigne, observait qu’il n’a pas fait autre chose, sa vie durant, que de s’interroger : comment est-ce que je vis ? Mais, réconfortante merveille, il n’a jamais essayé de transformer cette question en impératif : c’est ainsi que tu dois vivre !

Si, comme tout grand écrivain, Montaigne nous éveille à la conscience de notre différence, il est aussi le seul penseur qui nous enseigne que « la plus grande chose du monde, c’est de savoir être à soi« . Être à soi, c’est-à-dire de ne tenir aucun compte de notre position dans le monde, de tout ce qui nous rend esclave  – que ce soit de la famille, des mœurs, de la religion, de la communauté ou de l’État.

Cette tenace volonté de défendre le moi comme une forteresse contre les assauts du monde extérieur se traduit, avec la rage et la lucidité d’un condamné à mort conscient de sa situation, dans ses réflexions sur notre finitude. Contre la mort banale, ordinaire, la mort « en bloc », Montaigne revendique une mort toute sienne, vécue dans l’expérience la plus intime, dans la sincérité la plus existentielle : il n’aspire pas – contrairement aux enseignements de la religion ou de la philosophie antique – à « surmonter » la mort, mais à en saisir la réalité. L’art de bien vivre se complète naturellement par l’art de bien mourir. « La plus volontaire mort, c’est la plus belle« , disait-il. Attitude qui le fit parfois passer pour un stoïcien converti à la lâcheté d’une mort douce, à son aise et à sa mode…

Le même reproche qu’adressera Hanna Arendt  à Stefan Zweig, ce qui suffit à la déconsidérer à mes yeux.

Bernard-Henri Lévy, un bretteur chez Ruquier…

Bernard-Henri Lévy est un rhéteur hors pair et un bretteur incomparable. Il l’a prouvé, une fois de plus, chez Laurent Ruquier en défendant son livre L’Esprit du judaïsme qui aurait pu s’intituler Le Génie du judaïsme évoquant ainsi les mânes de Chateaubriand et de son Génie du christianisme. Ce que le monde doit aux Juifs, il a eu raison de ne pas trop y insister. Ce que le monde perd sans eux, il faut vraiment être atteint de cécité spirituelle pour ne pas le voir. Et pourtant, l’antisémitisme renaît dés lors qu’on croit l’avoir asséché. Bernard-Henri Lévy, quitte à plonger ses interlocuteurs dans la perplexité, n’a pas manqué, et à juste titre, de rappeler que le venin antisémite est toujours présent dans la société française dès lors qu’on évoque Israël ou des hommes d’Etat comme Laurent Fabius ou Dominique Strauss-Kahn. Il aurait pu ajouter que le nouvel antisémitisme qui débarque allègrement des pays arabo-musulmans fait peser sur les Juifs de France une menace pire encore. On ne pouvait pas ne pas songer en l’écoutant au mot de Billy Wilder s’exilant aux États-Unis : « Les Juifs optimistes ont fini à Auschwitz, les pessimistes à Hollywood. » Bernard-Henri Lévy, tout en distinguant parfaitement le racisme de l’antisémitisme, pèche sans doute par optimisme en esquivant les menaces que font peser les arabo-musulmans sur l’Europe. Et, plus encore, en imaginant un Proche-Orient apaisé. Léa Salamé n’a pas eu tort de citer un conseiller d’Obama disant qu’intervenir militairement ou s’abstenir est également catastrophique.

Bernard-Henri Lévy, au nom du judaïsme, se croit investi d’une mission. On peut lui reprocher sa mégalomanie, son narcissisme, voire même sa naïveté, mais pas sa sincérité.  Certains le rangeront volontiers dans la catégorie des besser-waïsser, expression yiddish dont la traduction la plus fidèle s’exprime dans cette histoire juive : « Quelle est la différence entre Dieu et un Juif ? Dieu sait tout, un Juif sait tout mieux. »

Pourquoi pas ? Mais il reste le panache du personnage, même sans chemise blanche, son ironie d’homme blessé et une volonté de comprendre l’incompréhensible qui, à titre personnel, me touchent.
En revanche, qu’il écarte d’un revers de la main Spinoza du judaïsme, alors qu’il en est la gloire, me fait douter de son jugement… et, parfois, du mien aussi.

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Apocalypse islam ?

Une menace pèse sur l’Europe : l’islam. Est-ce une religion ? Un mode de vie ? Une machine de guerre ? Personne n’est en mesure de répondre. Mais chacun pressent qu’une guerre civile est en cours. Parfois larvée, parfois violente, mais omniprésente. Certains pays, comme la Belgique ou la France, plus fragiles que d’autres, ont réagi en tentant de fermer leurs frontières. L’état d’urgence n’est plus l’exception, mais la règle. Le temps du vivre-ensemble, du communautarisme, du respect des religions appartient déjà au passé. En effaçant les frontières, on a construit des murs. L’ère de la kalatchnikov  a succédé à celle des bisous. Une vision apocalyptique de l’avenir se construit dans les têtes quand elle n’est pas déjà présente dans les rues, les stades ou lieux de culte. Ne pas stigmatiser, c’est encore le stigmatiser. Et même si l’on craint de nommer l’ennemi, il est déjà désigné. Lui-même s’en réclame : c’est l’islam. Celui de hier ou celui d’aujourd’hui ? Peu importe. Il frappe où il veut, quand il veut, comme il veut. Il a un embryon d’Etat, des soutiens financiers et militaires. Et même des concurrents qui ne savent pas vraiment comment s’en accommoder. Au Proche-Orient, bien sûr.

En France, la panique a gagné les esprits : on croyait les musulmans assimilables : ils ne le sont pas forcément. On croyait le Coran un Livre Saint. Il ne l’est pas. On croyait pouvoir acheter la paix sociale à l’aide de subventions. On n’a fait que la preuve de notre faiblesse, de notre niaiserie, de notre pacifisme bêlant. On a refusé de voir que l’ennemi s’infiltrait à l’intérieur de notre civilisation, cependant qu’il s’étendait dans le monde entier. Et maintenant, l’heure de résister a sonné. Les premiers à combattre ce cancer, et les mieux armés, sont les musulmans eux-mêmes, car ils ont déjà développé des défenses immunitaires. Ils savent que leur religion qui a, sans doute de bons côtés,  mais le nazisme et le communisme en avaient aussi, a engendré un docteur Frankenstein qui sème la mort avec une prodigalité quasi divine, sans doute pour mieux la dominer, tout en se réclamant d’un Dieu devenu fou furieux et avec l’aide d’hommes d’affaires qui anticipent sur l’avenir : une islamisation douce ou brutale de la planète conforterait leur pouvoir. Après tout, la religion est aussi un business. Et comme l’Eglise catholique l’a montré au fil des siècles, un des plus juteux qui soit. Surtout quand le pétrole commence à manquer….

Une Europe en voie de décomposition morale et intellectuelle regarde avec des mines de vierges effarouchée ces milliers de migrants qu’elle accueille avec suspicion en se demandant s’ils représentent un danger ou une aubaine. Certains évoquent un Grand Remplacement des populations, voire une bombe démographique qui, à terme, signerait notre perte. D’autres évoquent l’égoïsme glacial de ceux qui refoulèrent les Juifs durant la Deuxième Guerre mondiale et disent :  » Plus Jamais Ça !  » .  D’autres enfin ,dans des accès de masochisme, se félicitent d’une revanche des populations humiliées par le colonialisme et le capitalisme : après Tintin au Congo, voici venu le temps tant attendu des Congolais dans le pays de Tintin. Une Europe dépourvue de moyens de défense et déboussolée se tourne tantôt vers Obama qui est aux abonnés absents, tantôt vers Poutine qui bombe le torse, voire vers les Chinois dont on sait le plaisir qu’ils éprouvent à humilier les musulmans : pas de mosquées de plus de deux mètres de hauteur.

Faut-il bombarder quotidiennement l’Etat islamique un peu au hasard pour calmer la partie la plus belliqueuse de l’Opinion ? Faut-il, au contraire, reconnaître ce nouveau califat et y reléguer tous ceux qui nous menacent au nom d’Allah ? Qui sont nos alliés ? Qui a juré notre perte ? Nul ne le sait vraiment, d’autant que le raffinement de ceux qui s’expriment en français coïncide rarement avec la violence des propos qu’ils tiennent en arabe. Certes, l’homo festivus, mou et conciliant, continue à croire en sa supériorité. L’alcool, les mini-jupes, le mariage gay, l’avortement libre, les droits des femmes, voire la sécurité sociale et l’exception culturelle française, impensable que même les plus enragés des islamistes n’y succombent pas. Qui résisterait à Brigitte Bardot ?  Tout ce à quoi nous assistons présentement n’est qu’un mauvais rêve, un cauchemar dont nous n’allons pas tarder à nous réveiller. À titre personnel, je doute que ce soit le cas. Nous perdrons la guerre, car personne ne veut mourir pour sa patrie et son style de vie. Il n’y a qu’une chose que les hommes préfèrent à la liberté, disait Dostoïevski, et c’est l’esclavage. La forme que prend l’islam aujourd’hui ne nous décevra pas sur ce plan. Et la plasticité du psychisme humain nous amènera après quelques convulsions planétaires à trouver finalement assez normal ce qui nous semble aujourd’hui odieux ou menaçant. Sans doute payons-nous le fait de nous être laissés embobiner par des discours mielleux sur la paix et l’amour universels. Et d’avoir oublié que l’avenir se présente invariablement sous la forme d’une botte piétinant un visage humain….éternellement.

Christiane Taubira chez Laurent Ruquier

Juste après sa démission du gouvernement, Madame Taubira ne pouvait pas rater son rendez-vous avec son fan club Ruquier-Salamé-Moix, tous trois pétris d’admiration et de respect pour cette « icône de la gauche », ce qui aurait pu devenir pesant si elle n’avait pas aussitôt pris le parti de l’insolence en se moquant de la vacuité des questions de Ruquier et en appelant Yann Moix « Monsieur Moi » et Léa Salamé, « Salomé ». Mais quand on est porté par une telle ferveur, on ne s’en offusque pas. Et Madame Taubira aurait pu sortir triomphante de On n’est pas couché.

Sauf que…

Sauf qu’elle a fini par lasser tout le monde avec un son irrépressible désir d’occuper le terrain et de ne jamais laisser à ses interlocuteurs la possibilité de déceler la moindre faille dans son armure. Sans doute a-t-elle lu le petit livre du philosophe Schopenhauer, L’Art d’avoir toujours raison.  Et elle l’a mis en pratique avec brio, mais en oubliant que l’élégance suprême consiste parfois à donner raison à ceux qui tentent, maladroitement certes, de vous mettre en difficulté. Une humilité, même feinte, attire plus la sympathie qu’un orgueil démesuré. Comme Madame Taubira n’en finissait pas de dresser un bilan somptueux de ses quatre années comme Garde des Sceaux, j’ai fini par éprouver une infinie compassion pour François Hollande, Manuel Valls et tant d’autres qui devaient s’étrangler en subissant son flot de paroles et n’avoir plus qu’une envie : la faire taire. Ou filer à l’anglaise.

 

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Cioran disait que ce qui vous tenait à cœur, on ne pouvait que le murmurer à l’oreille d’agonisants. J’ignore de ce que murmure Christiane Taubira à la jeunesse, mais sa manière de revenir de manière pompeuse sur les symboles de la République et sur les principes relève plus du mauvais théâtre que de la conviction intime. Ce qu’on perçoit dans son discours, c’est qu’elle et elle seule veut être un Symbole de la Gauche, alors qu’elle n’en est juste que le bulldozer. Quand ce n’est pas le bouledogue.

La dictée de Roland Jaccard

J’avais concocté, à l’intention des stagiaires qui ambitionnaient de travailler au Monde des Livres, une dictée, ainsi qu’une épreuve de culture générale, que j’ai retrouvée par hasard dans un dossier sur le journal intime. Elle date de plus de trente ans. En la relisant, je la trouve d’un sadisme raffiné. La procédure se déroulait en deux temps : la dictée proprement dite, puis des questions sur les expressions ou les références les plus subtiles ou les plus inattendues qui parsemaient le texte. Parmi les collaborateurs du quotidien, Pierre Lepape s’en était le mieux tiré, suivi par François Bott et Michel Contat. En moyenne, quand ils ne craquaient pas tout de suite, les prétendants s’en tiraient avec une dizaine d’erreurs pour la dictée et pas mal de perplexité pour les questions qui suivaient. Ceux qui franchissaient vaillamment la barre étaient admis. Je me demande à quels résultats aboutirait aujourd’hui une telle épreuve. Et c’est pourquoi je la livre telle qu’elle, non sans reconnaître que je craindrais d’être recalé dans ce qui était alors le Saint des Saint.

 

L’homme aux syntagmes figés

Cela faisait un lustre que je n’avais pas revu l’homme aux syntagmes figés. Je l’avais en des temps lointains amené à résipiscence. Depuis, il était à mon endroit d’une pusillanimité et d’une obséquiosité qui me hérissaient. Quoi qu’il advînt, il cherchait à temporiser: il n’obtempérait même plus quand je lui commandais d’être roboratif; il n’appréciait que les mesures dilatoires. Il prétendait dans un délire métanoïaque s’être mis à l’école des valétudinaires, des phtisiques et des stylites. Il jugeait toute action superfétatoire. « Tout ce que l’on fait pour autrui se retourne contre vous » était son apophtegme préféré. Dans son spicilège, il avait également glissé que ni l’amitié, ni l’amour, ni la vie ne sont une obligation.

Eût-il été moins ataraxique qu’il eût donné un parfait sycophante, mais c’est d’un factotum que j’avais présentement besoin et non d’un sophiste dont les apories fétides m’enlevaient toute équanimité et heurtaient mon eudémonisme. Son psittacisme était une sorte de phagocytage verbal à peine digne du cuistre parcimonieux qu’il était devenu. Aussi ne fus-je guère surpris quand il me quitta de l’entendre proférer « Asinus asinum fricat. »

Quant à moi, je décidai de prendre un bain lustral dans les thermes deligniens où rôdaient, somptueusement eidétiques, des nixes suaves et des éphèbes ithyphalliques. Selon mon humeur, eschatologique ou primesautière, j’y composerais un thrène ou un épithalame.

Puis, je poursuivrais ma lecture des Parerga et Paralipomena avant qu’une déesse callipyge ne sème le doute dans mon esprit sur l’aristotélico-thomisme dont il m’arrivait de me réclamer. Enfin, celle qui parviendrait à me convaincre de la pertinence de l’argument ontologique de saint Anselme, songeais-je, je serais prêt à l’inviter à Florence où elle succomberait in petto au syndrome de Stendhal. Et peut-être même lui offrirais-je Lamiel, si elle pouvait me dire d’où venait le pseudonyme de l’illustre Beyle et me donner abruptement les hétéronomes du non moins illustre Pessoa, le lusitanien et le lycanthrope de la littérature qui exécrait les églogues et savourait le laconisme, cette langue aujourd’hui oubliée. Il mourut en citant le mot d’un poète métaphysicien anglais: « Ne me demande pas pour qui sonne le glas. Il sonne pour toi. »

« Qui était ce poète ? », demanda l’hurluberlu à la pécore.

 

 

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Marcel Proust et le charme vénéneux d’Albertine

On se souvient peut-être que le narrateur ayant enfin réussi à capturer Albertine, l’insaisissable Albertine, et à l’installer dans l’appartement de ses parents, constate désabusé : « Je sentais que ma vie avec Albertine n’était pour une part, quand je n’étais pas jaloux, qu’ennui et et pour l’autre part, quand j’étais jaloux, que souffrance. » – réflexion qui, bien sûr, évoque aussitôt Schopenhaueur.

Mais Albertine a le don de déjouer les sombres prédictions du philosophe, d’aiguiser les souffrances, de semer le trouble  autour d’elle, de jouer sur des identités multiples et contradictoires, de telle sorte qu’elle s’impose, avec Charlus, comme le personnage le plus fascinant de La Recherche, roman qui n’aurait vraiment pas été son genre.

Son genre à elle, c’est plutôt le genre adolescente effrontée, une espèce nouvelle au début du vingtième siècle, une adolescente qui se moque aussi bien des codes sociaux  – elle n’a rien à y perdre, elle est issue de la petite bourgeoisie – que des normes sexuelles. Proust note que son « charme incommode était ainsi d’être à la maison moins comme une jeune fille que comme une bête domestique…  » Elle aura, en outre, la bonne grâce de ne jamais vieillir, d’échapper par la mort à sa condition de femme, de demeurer l’emblème d’une liberté démultiplicatrice.

La mort d’Albertine induira un travail de deuil sublimement pervers, comme si une nouvelle guirlande de fillettes était seule en mesure d’apaiser le narrateur. Que l’on songe seulement à celle qu’il ramassera dans la rue et qui lui vaudra les foudres publiques du chef de la Sûreté, avant que ce dernier ne lui donne en privé des conseils de prudence…

 

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Désormais, Marcel est convaincu qu’une femme « est d’une plus grande utilité pour notre vie, si elle y est, au lieu d’un élément de bonheur, un instrument de chagrin, et il n’y en a pas une seule dont la possession soit aussi précieuse que celle des vérités qu’elle nous découvre en nous faisant souffrir ».

Nous devons à Proust un traité sur le sadisme aux vertus inégalables. À vrai dire, nous lui devons tout.

La Suisse va-t-elle voter la déchéance d’hospitalité ?

Les Helvètes ne sont pas un peuple particulièrement hospitalier. Selon un classement international, ils se situeraient même en en trente-huitième position, juste après l’Arabie saoudite, le Koweït et le Japon, pour l’accueil fait aux expatriés. La Suisse reste néanmoins un eldorado pour y faire du business, mais comme le dit l’un d’eux,  Prière de prendre la fuite pour qui veut s’y faire des amis ! »

Pire encore, les Suisses qui croient volontiers qu’il n’y en a point comme eux, n’apprécient pas la mendicité (une initiative populaire vise prochainement à l’interdire) et encore moins les comportements douteux. Quant aux délits ou aux crimes commis par des étrangers, ils devraient à l’avenir conduire leurs auteurs, après une peine de prison, illico presto,  dans leurs pays d’origine respectif.

Tel est du moins le but de la votation du 28 février qui met en ébullition la classe politique, plus de cinquante pour cent des sondés étant favorables à cette initiative populaire soutenue par l’UDC, parti libéral certes, mais farouchement opposé à l’Union européenne. La gauche annonce le pire : la fin de l’État de droit , voire l’avènement d’une nouvelle barbarie. Le populo, lui, en a marre d’être pigeonné au nom des droits humanitaires. Vivre à Singapour ou au Japon, deux pays qui ne font pas dans la dentelle en matière de sécurité, lui semble préférable au bordel qui gagne ses  voisins, la France et l’Allemagne notamment. Après tout, il n’est pas question de rétablir la peine de mort. Juste de montrer qu’on reste maîtres chez soi…

Ce n’est pas encore dans l’air du temps en Europe. Mais, à supposer qu’il ne soit pas déjà trop tard, on imagine sans peine bien des pays européens suivre ce très, très, très mauvais exemple…

 

Billet d’humeur publié dans le numéro de février de l’infâme Causeur.

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