Quand avez-vous mangé votre dernier beefsteack ?
Je lui expliquai que son modeste traitement de professeur ne permettait pas à mon père de payer mes études, puisque j’avais quatre autres jeunes frères et sœurs. J’avais donc dû voler de mes propres ailes et vivais en donnant des leçons et en écrivant des articles à l’occasion.
– Oui, dit Freud, la rigueur envers soi-même a aussi quelque chose de bon. Vous devriez seulement veiller à ne pas dépasser la mesure. Quand donc avez-vous mangé votre dernier beefsteack ?
– Il y a quatre semaines, je crois.
– C’est à peu près ce que je pensais, dit-il en se levant. Voici donc votre ordonnance.
Il ajouta quelques conseils diététiques et devint tout à coup embarrassé.
– Veuillez ne pas le prendre en mauvaise part, poursuivit-il. Je suis un médecin arrivé et vous êtes encore un jeune étudiant. Veuillez donc accepter cette enveloppe et permettez-moi pour une fois de jouer aujourd’hui le rôle de votre père. De petits honoraires pour la joie que vos vers et l’histoire de votre jeunesse m’ont apportée. Au revoir, faites-moi savoir quand vous reviendrez. Mon temps est très occupé, il est vrai. Mais je trouverai bien une heure à vous consacrer. À bientôt ! »
Ainsi, prit-il congé de moi. Et imagine-toi que à peine rentré dans ma chambre, j’ouvris l’enveloppe. J’y trouvai deux cents couronnes. J’étais tellement bouleversé que je me suis mis à pleurer tout haut.