À l’heure du thé…

g_PP10Mones02Vers seize heures trente, j’ai sonné à la porte de son apparentement de la rue de Vaugirard au huitième étage qui grâce à ses larges baies vitrées était de plain pied avec le ciel et les toits de Paris. Il avait préparé un thé avec des petits gâteaux. Et nous avons passé plus de deux heures à bavarder et, le plus souvent, à rire. De tout et de rien. Par exemple, du petit sac que je portais en bandoulière et d’où émergeait un livre. Foucault m’a d’abord demandé si c’était un havresac, tout en ajoutant qu’il aimait ce mot sans en connaître la définition exacte. En fait, un havresac se porte sur le dos à l’aide de bretelles. Nous avons convenu qu’il s’agissait plutôt d’une sacoche d’écolier que d’un havresac  – qui fait plus militaire. Je note cela, car rien n’est plus faux, ni plus stupide que d’imaginer qu’entre intellectuels les discussions vont forcément porter sur des sujets graves et vite devenir lassantes. Ce n’est jamais – et j’insiste sur jamais – le cas. Quiconque aborderait un sujet sérieux, serait immédiatement disqualifié. C’est même à cela qu’on reconnaîtrait sa bêtise.

Mais revenons à Foucault. Il s’est installé sur son divan de manière très décontractée pendant que nous bavardions et rejetait souvent la tête en arrière pour rire. Avec son crâne rasé, son teint hâlé, sa sveltesse, son élégance discrète, il aurait été parfaitement à sa place dans un film noir américain.

Il quitte rarement son interlocuteur des yeux et on perçoit aussitôt chez lui une curiosité sans cesse en éveil et un jugement rapide. Comme moi, il aime les cancans surtout s’ils sont empreints d’une certaine malice. Ainsi, il m’a appris qu’André Fontaine, qu’il surnomme Monsieur de Norpois, a voulu se présenter au Collège de France. Foucault, tout en estimant qu’il n’y a pas de politologues sérieux en France aujourd’hui, était favorable à sa candidature. C’est Raymond Aron qui s’y est opposé. À propos du Collège de Philosophie, il m’a dit avec pas mal d’ironie dans la voix et le regard que c’était tout à fait normal que Derrida le dirige, puisque  » c’est le plus grand philosophe vivant « .

Nous avons peu parlé des hommes politiques français: « Je n’attends rien d’eux, m’a-t-il dit. Ils sont démagogues, malhonnêtes et cyniques…moins par nature vraisemblablement que par fonction. »AVT_Michel-Foucault_7980

Il ne comprend pas que Robert Badinter ne l’ait pas associé à la réforme du Code pénal  (on ne sait pas ce qu’est la justice, mais il faut un Code pénal, a-t-il précisé en observant mon regard dubitatif), ni pourquoi Jean-Pierre Chevènement s’est répandu en calomnies sur son compte. Michel Foucault est plus susceptible qu’il n’y paraît, ai-je alors songé. Et beaucoup trop mobile pour appartenir à une cause, un parti, une foi. En somme : irrécupérable. Cela me l’a rendu encore plus proche.
La conversation s’est poursuivie, alors que la nuit tombait sur Paris. Il a allumé la lumière. Et nous nous sommes mis à parler de l’Iran et de la révolte des masses.

Vous en saurez plus demain.

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