Entretien imaginaire avec Carl Gustav Jung, 1/7

Originellement publié dans Le Monde, le 22 février 1985.

 

Tous ceux qui ont rencontré le psychologue suisse Carl Gustav Jung (1875-1961) m’ont parlé de lui comme d’un homme solidement ancré dans la réalité, aimant travailler la terre, la pierre et le bois, faisant jusqu’à un âge avancé de la voile sur le lac de Zurich et manifestant en société un sens aigu de l’humour. Son rire surtout était célèbre : tantôt discret et réservé, tantôt homérique.

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Oui, de Jung tous convenaient qu’il était une force de la nature, capable de danser tard dans la nuit, dormant volontiers à la belle étoile chez ses amis les Indiens Pueblos ou parcourant la brousse en Afrique australe pour mieux connaître des sociétés moins policées que la Suisse. Comme me l’a confirmé un de ses proches disciples, Charles Baudouin, Jung n’avait rien d’un érudit livresque ni d’un homme de cabinet : aussi était-on parfois surpris en l’entendant parler, sur un ton d’absolue conviction, de l’anima, du soi, de l’ombre, des archétypes et d’autres réalités intangibles.

Paradoxalement, ce psychiatre qui se voulait avant tout un empiriste, fidèle à l’expérience, suscita des réactions d’une rare violence. Si le philosophe juif Martin Buber le rangea parmi les gnostiques paléochrétiens, les psychanalystes freudiens lui reprochèrent ses spéculations ayant trait à l’âme ancestrale de l’homme, ainsi que son « orientalisme de bazar », et rejetèrent une pensée qu’ils jugeaient d’une inspiration plus religieuse que scientifique. Ce qui s’explique quand on sait que pour Jung la névrose était le symptôme caractéristique de l’homme qui a perdu le soutien de la religion. À l’un de ses amis, il confia un jour :

« Tous les névrosés sont en quête d’une religion. »

Au-dessus de la porte de sa maison de Küsnacht, près de Zurich, il avait fait graver cette devise: « Invoqué ou non, Dieu sera présent » 

Laurent Ruquier: terreur sur l’Hexagone…

Il est étrange, en des temps troublés, de suivre une émission comme On n’est pas couché : l’électrochoc qui a secoué la France dans la nuit du 13 novembre, n’a visiblement pas ébranlé les animateurs, ni même les invités, comme si passer dans la petite lucarne immunisait contre tous les malheurs du monde et conduisait à reproduire ad aeternam les mêmes clichés et à poser les mêmes questions ineptes dont Léa Salamé et Yann Moix sont devenus au fil des mois les dérisoires incarnations. Évidemment, on peut toujours prendre plaisir, un plaisir pervers, à entendre Yann Moix lire Charles Péguy à haute voix sur un ton grandiloquent et répéter que les musulmans n’ont rien à voir avec l’islam politique. Évidemment, on peut toujours sourire aux minauderies de Léa Salamé qui, comme une enfant, cherche par tous les moyens à attirer l’attention de son papa en lui serinant, « Dis papa, pourquoi  on vend des armes à l’Arabie Saoudite ?  »

Le papa, en l’occurrence , était le maire de Pau, François Bayrou, un homme qui aime bien être photographié sur son tracteur entouré de ses six enfants. Il ne désespère pas d’être un jour une sorte d’Alain Juppé bis, le dernier recours de la Nation. Personne ne croit autant en lui que lui-même. Il dégage une forme d’auto-satisfaction qui fait plaisir à voir et qui serait même contagieuse s’il était en mesure de nous épargner les banalités d’usage. À lui seul, il résume cette haute fonction publique omnisciente et souvent inculte qui gangrène la France. C’est elle justement qu’attaque au vitriol Gilles Kepel, le meilleur spécialiste du discours djihadiste et de l’islam en France dans Terreur sur l’Hexagone, son dernier livre qui devait sortir en janvier chez Gallimard et qui sera en vente dès le quinze décembre. Voilà au moins un joli cadeau de Noël que nous devons aux djihadistes. Gilles Kepel n’est pas loin de penser avec Michel Houellebecq et Ivan Rioufol  que la situation fâcheuse – un euphémisme – dans laquelle nous nous trouvons a des responsables politiques parmi lesquels l’insignifiant opportuniste qui nous tient lieu de chef de l’Etat et le demeuré congénital qui lui fait office de Premier ministre (ce sont les mots de Houellebecq qu’on éprouve toujours un malin plaisir à citer). Au moins, Kepel et Houellebecq relèvent le défi lancé par l’islam, pas comme le pleutre Michel Onfray qui a renoncé à publier son essai (Penser l’Islam) en janvier chez Grasset.

Il n’y a pas que Péguy, ai-je envie de dire à Yann Moix,  il y a aussi Karl Kraus dont Les Derniers Jours de l’humanité sont autant de tableaux ouvrant sur des centaines d’enfers. On n’est pas couché est devenu l’enfer de l’insignifiance. Je me permettrai donc, en tant que Viennois (de l’empire austro-hongrois bien sûr) de conseiller la lecture des Monologues du Râleur et de l’Optimiste (aux éditions Agone) de Karl Kraus, dialogues qui débutent ainsi pour le plus vif plaisir de Léa Salamé (et pour une fois je n’invente rien) :

L’OPTIMISTE : Vous pouvez vous estimer heureux. En Syrie, une infirmière de la Croix-Rouge, dont la voiture a roulé encore quelques mètres, a été abattue.

LE RÂLEUR : On a donné la force armée à l’esclave. Sa nature ne le supporte pas. Il est comme le mendiant qui montre des plaies qu’il n’a pas reçues.

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Conversation avec Henri Cartier-Bresson

Ce 18 juin 2001

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Hier soir, j’ai trinqué à l’anarchie avec Henri Cartier-Bresson. Il a eu un parcours assez classique: catholique (sans la foi), communiste (sans la carte du parti), anarchiste (avec humour) et maintenant bouddhiste – il avait été marqué tout comme je l’ai été par le livre de Serge Kolm. Me confie qu’il était très lié à Masud Khan, ce psychanalyste pakistanais formé par Winnicott et qui travaillait à Londres. Henri répète souvent: « Masud me manque ». Mais jamais il n’aurait entreprit une analyse: « Ça coupe les couilles », dit-il. Je démens. D’ailleurs, Masud lui avait affirmé: « L’analyse, ce n’est pas pour vous ». Masud avait raison.

Henri me dit qu’il n’y a plus que deux écrivains qu’il peut encore lire sans ennui avant de s’endormir: Proust et Saint-Simon. Il m’avoue avoir été marqué, malgré tout et presque contre son gré, par André Gide.

Nous parlons aussi de Louise Brooks et de Wittgenstein – « les deux plus lucides du siècle », dit-il. Je lui demande s’il aimerait revenir sur terre après sa mort. Cette question n’a pas de sens pour lui, en bon bouddhiste il ne croit pas à la mort. Martine Frank, sa compagne, qui a été analysée (« il le fallait pour vivre avec Henri ») intervient: « Revivre ? Ça jamais !..

-Même pas avec moi ? », demande Henri en lui envoyant délicatement un baiser.

 

Il ne se mettra que deux fois en colère lors de cette soirée organisée par Isabelle Huppert: la première lorsqu’il parle de la morale judéo-chrétienne, « une vraie saloperie »; la seconde lorsqu’une femme l’interrompra pour lui dire qu’elle est aussi photographe. « Mais c’est de la foutaise ! … Apprenez plutôt le dessin ! et la géométrie ! »

Karl Kraus et les femmes…

Avoir une mère viennoise comporte quelques avantages, notamment celui d’avoir pu lire Karl Kraus à l’âge où mes camarades lausannois s’emballaient pour Camus ou Sartre. Karl Kraus leur était totalement étranger, alors qu’il coulait dans mon sang.

J’ai  appris très vite grâce à lui que si la représentation de la femme est « confortable », sa réalité l’est beaucoup moins.

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« J’aime bien monologuer avec une femme, disait-il, mais je trouve plus stimulant de dialoguer avec moi-même. »

J’avais déjà observé que la plupart des femmes aiment rêver des hommes sans coucher avec eux. Il conseillait d’attirer expressément leur attention sur le caractère impossible de ce projet, ce qui m’a valu quelques déboires.

Mais ce qui m’a le plus marqué est le caractère incroyablement profond de cette réflexion : « Les femmes sont souvent un obstacle  à la satisfaction sexuelle, mais de ce fait érotiquement exploitables. »

Il m’a fallu des années  pour le comprendre et le mettre en pratique.

Quand les jurés du prix Goncourt décernent le Nobel de la paix…

Il faut réconcilier l’Orient et l’Occident, célébrer l’altérité et le métissage contre l’évidence d’un islam devenu fou : tel est le message délivré par les jurés du Prix Goncourt et pour la plus grande satisfaction de mon ami Tahar Ben Jelloun. Certes, le roman de Mathias Enard vaut son pesant d’ennui, mais comme le dit si bien la quatrième de couverture, il est « enveloppant et musical, tout en érudition généreuse et humour doux-amer« . Ne reculant devant rien et surtout pas devant le ridicule, nous apprenons également que le fiévreux élan brisé résonne dans l’âme blessée des personnages comme il traverse le livre (je n’invente rien).
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« Un choix politique », dit Bruno de Cessole dans Valeurs actuelles. Une façon subtile d’éliminer Boualem Sansal  qui, lui au moins, est au cœur des guerres de religion dont il a vécu les prémices en Algérie. On peut également, en suivant les judicieux conseils de Jérôme Leroy dans ce même numéro de Valeurs actuelles (4121) relire Pasolini dont les Écrits corsaires et Les lettres luthériennes sont toujours d’actualité. Il est toujours surprenant de voir combien le passé est plus actuel que le présent. Quant au futur, rares sont ceux qui l’anticipent. Nous en convenions avec l’ami Jérôme: Soleil Vert de Richard Fleisher est le chef d’œuvre du genre.

Ce samedi 21-11, Le casse-tête chinois de Benoit Hamon…

Une anecdote pour débuter:  Alexandra Laignel-Lavastine a voulu savoir le samedi matin 14 novembre comment les jeunes de son quartier, dans le 93, avaient vécu cette nuit de carnage. Se pouvait-il que les images des tueries qui passaient en boucle  dans les cafés les laissent indifférents ? Elle s’attendait à un vague: « Là quand même ils abusent ! »
Pour en savoir plus, elle a fait ce que tout journaliste consciencieux devrait faire : s’immerger dans la population. Première surprise : rien ne laisse deviner qu’une tragédie vient de frapper le pays. Quand elle évoque ce qui vient de se passer, on la regarde comme une extra-terrestre quand ce n’est pas avec hostilité.

« Tu crois quand même pas ce qu’ils nous racontent ? », dit l’un, cependant qu’un autre habitué du café surenchérit :  Réfléchis trois secondes : un musulman, ça tue pas. Tuer, chez nous, c’est haram. C’est marqué dans le Coran. » Alexandra joue alors la carte bobo nunuche bien-pensante – rôle qu’affectionnent les invités de On n’est pas couché. Elle dit : « Certes, l’islam est une religion de tolérance et de paix, mais il peut y avoir de mauvais musulmans, des fanatiques qui le déforment et s’en servent à des fins politiques. »  Elle s’entend répondre : « C’est quoi ces conneries ? On sait tous que les images et les communiqués, c’est du bidon. »

Et là, cette chère Alexandra reçoit le coup de massue : « La vérité de toute façon, on la connaît: c’est  un complot contre nous et contre l’islam, comme avec Merah et le reste. Le but, c’est de salir les musulmans. On ne peut plus nous enfumer.  » Tout le monde approuve. Et quand Alexandra cherche à en savoir plus sur ce fameux complot, elle devine ce qui va suivre :  » Les criminels qu’il faut détruire à la kalach, c’est les Juifs ! Mais ça tu ne pourras jamais l’écrire dans ton journal vu qu’ils contrôlent tout.  » Avec ces trois mots magiques – Juif, sioniste, complot – la tension monte. Le reste, chacun peut le deviner.

Évidemment, comme Yann Moix on peut conseiller à chaque Français de souche d’envoyer une lettre d’amitié à ses amis musulmans ou se réjouir comme Ruquier qu’on dessine des cœurs sur les mosquées. Voire, comme la majorité des invités de l’émission de Taddéi, Ce soir ou jamais, s’autoflageller et battre sa coulpe en décrétant que les arabo-musulmans sont traités comme des sous-hommes en France. Et que, oui, il faut rester unis et surtout ne pas relâcher sa vigilance face à un fascisme et à une xénophobie qui ont le vent en poupe.

« Qu’est-ce qui nous unit ?  » se demande avec une une componction digne d’un cardinal du Vatican le philosophe Roger-Pol Droit qui officie au Monde et qui distille avec gourmandise des banalités qui ne fâcheront jamais personne. La légèreté, la fête, la baise, le vin…oui, ne cédons sur rien. L’exception française est là et, paradoxalement, elle n’a rien d’exceptionnel. Comme le dit l’invité d’honneur, Benoît Hamon, « ça ne suffira peut-être pas à vaincre nos ennemis !  »

Mais oui, la France est en guerre. Mais de quelle guerre s’agit-il et contre qui et avec quels alliés la menons-nous ? Là, ce pauvre Benoît Hamon ne cache pas son embarras. Quand Léa Salamé lui demande pourquoi nous sommes, nous Français, si proches de l’Arabie Saoudite et du Qatar – qui financent l’État islamique que nous combattons – et pourquoi nous leur vendons des armes, il lâche le morceau : parce que nous sommes pauvres et qu’eux sont riches. Et la Turquie ? Ce double, voire ce triple jeu de la Turquie ? Et Poutine, ami ou ennemi ? Et Bachar Al-Assad qui, lui au moins,  est cohérent comme on peut le voir dans l’entretien qu’il a donné à Valeurs Actuelles …sans oublier les rebelles syriens que nous avons armés…maintenant que le vent a tourné, on en fait quoi ? Un vrai supplice chinois pour ce brave Benoît Hamon qui tente tant bien que mal de défendre sa ville de Trappes qui fournit chaque mois un lot appréciable de combattants à l’Etat islamique.

Tout cela n’est rien, bien sûr, à côté de ce que subit chaque dimanche le dessinateur belge un rien démago, Philippe Geluck, harcelé  par sa femme qui veut jouer au Scrabble avec lui. Il cède comme il finira par céder aux requêtes des bons musulmans. Pas comme Oscar Freysinger, censuré par le quotidien suisse Le Temps, pour avoir affirmé notamment que « le crépuscule des dieux approche et nous ne voulons rien voir venir. C’est le déni qui nous tuera. Nous nous sommes évertués à nourrir sur notre sein le serpent qui nous mordra et nous le considérons toujours comme un doux chaton ronronnant.  » Et pourquoi Laurent Ruquier ne l’inviterait-il pas….une fois, une fois seulement , pour qu’on entende un autre son de cloche ?

Souvenirs sur Sigmund Freud, épisode 5

Quand avez-vous mangé votre dernier beefsteack ? 

Je lui expliquai que son modeste traitement de professeur ne permettait pas à mon père de payer mes études, puisque j’avais quatre autres jeunes frères et sœurs. J’avais donc dû voler de mes propres ailes et vivais en donnant des leçons et en écrivant des articles à l’occasion.

– Oui, dit Freud, la rigueur envers soi-même a aussi quelque chose de bon. Vous devriez seulement veiller à ne pas dépasser la mesure. Quand donc avez-vous mangé votre dernier beefsteack ?

– Il y a quatre semaines, je crois.

– C’est à peu près ce que je pensais, dit-il en se levant. Voici donc votre ordonnance.

Il ajouta quelques conseils diététiques et devint tout à coup embarrassé.

– Veuillez ne pas le prendre en mauvaise part, poursuivit-il. Je suis un médecin arrivé et vous êtes encore un jeune étudiant. Veuillez donc accepter cette enveloppe et permettez-moi pour une fois de jouer aujourd’hui le rôle de votre père. De petits honoraires pour la joie que vos vers  et l’histoire de votre jeunesse m’ont apportée. Au revoir, faites-moi savoir quand vous reviendrez. Mon temps est très occupé, il est vrai. Mais je trouverai bien une heure à vous consacrer. À bientôt !  »

AZOct08FreudAinsi, prit-il congé de moi. Et imagine-toi que à peine rentré dans ma chambre, j’ouvris l’enveloppe. J’y trouvai deux cents couronnes. J’étais tellement bouleversé que je me suis mis à pleurer tout haut.

Souvenirs sur Sigmund Freud, épisode 4

Vos complexes feront votre salut

– Ma mère ? Oh,  je m’entendais fort bien avec elle aussi. Elle était protestante, très croyante, mais cela ne m’a pas troublé davantage.

De nouveau, Freud riait, très amusé.

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– Au fait, demanda-t-il soudain, quelle était cette histoire de votre père et de Poséidon ? Racontez-la donc encore une fois. Je réfléchissais juste une minute quand vous en parliez et je n’ai pas tout à fait écouté.

– J’avais alors onze ou douze ans. Un jour mon père entra dans ma chambre et posa sur la table la Mythologie de Moritz. Sans doute s’étonnait-il  que, comme ma mère m’avait poussé à le faire, je lisais beaucoup la Bible à ce moment. « Lis aussi un peu là dedans, mon garçon, dit-il en en montrant le Moritz, il y a là des histoires qui ressemblent à celles de la Bible. Elles sont peut-être encore plus belles. Tu sais, nous qui sommes de la mer, nous croyons à autre chose. Poséidon, entre autres… » Jamais plus il ne m’a parlé de ce livre qu’il m’avait si discrètement recommandé, mais il est devenu décisif pour toute ma vie et ma pensée…

– Poséidon, entre autres…Merveilleux, merveilleux, fit Freud. Oui, la mer…Eh bien mon bon ami Goetz, je ne vous analyserai pas. Vos complexes feront votre salut. Mais pour ce qui est des névralgies, je vais vous prescrire une ordonnance qui vous fera du bien… »

Il s’assit à son bureau et écrivit. Entre-temps, il demanda comme incidemment :  « On m’a dit que vous n’avez pratiquement pas d’argent et que vous vivez très à l’étroit. C’est vrai ?  »

Dans un dernier épisode, vous découvrirez comment Freud  joue le rôle du père. Rôle qui lui sied à merveille.

Souvenirs sur Sigmund Freud, épisode 3

Et cette affaire de matelot ?

Il m’écouta pendant près d’une heure sans m’interrompre et sans me regarder. Souvent il riait doucement. Il dit enfin :

– Récapitulons brièvement. Votre père était capitaine de navire et plus tard professeur de navigation à l’école navale de Riga, et vous avez passé votre jeunesse parmi des  matelots et des hommes de barre. La mer est donc quelque chose pour vous comme un symbole réel. Mais d’où vient cette rigueur, cette raideur dans vos vues ?

– Je m’y suis astreint moi-même et me suis même quelque peu rudoyé, répliquai-je. Je craignais de me dissoudre et de m’égarer tout à fait.

– Aha, dit-il seulement. Après un temps, il continua : votre père n’était-il donc pas sévère avec vous ?

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– Non, répondis-je. Il était mon meilleur ami et nous nous comprenions aux plus légères allusions. Seulement, je ne lui avais rien dit de mes ridicules et malheureuses histoires d’amour avec une jeune fille et avec une dame plus âgée, ni de ce que, une fois ou l’autre, je m’étais follement entiché d’un matelot que j’aurais bien dévoré de baisers. Je craignais qu’il ne le prît peut-être pas au sérieux et qu’il se moque de moi. Il ne m’aurait certainement fait aucun reproche. Moi-même je n’avais pas grand chose à me reprocher… sauf que je n’avais pas osé et, plus tard, quand j’étais au lit…enfin…vous me comprenez…

– Bien sûr, bien sûr, grommela Freud. Et cette affaire de matelot ne vous a pas troublé davantage ?

– Jamais, dis-je. J’étais devenu éperdument amoureux. Et quand on est amoureux, tout va pour le mieux, non ?

– Pour ce qui est de vous, à coup sûr, répondit Freud qui tout à coup éclata de rire. Vous vous êtes alors aussi pris en main…Ah ! pris en main, cela vient de m’échapper…et vous êtes devenu sévère à la fin envers vous-même. C’est que l’on appelle l’éducation de soi-même et tout est pour le mieux pourvu qu’on ne s’y crispe pas. Et vous n’avez pas l’air crispé…C’est bien enviable, vous avez une bonne conscience, vraiment enviable. C’est ce dont vous rendrez grâce à votre père. Et votre mère…?

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Ici, le suspens devient insoutenable. À demain pour la suite de cette charmante histoire !